Miss Peregrine’s Home for Peculiar Children est enfin sorti en salles françaises depuis le mercredi 5 octobre. Nous avons eu la chance de pouvoir découvrir le film en avant-première et en présence de Tim Burton qui était là pour répondre aux questions du public. Vous pouvez retrouver une première critique d’une de nos membres sur son blog ainsi que celle d’Arnold ci-après.
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CETTE CRITIQUE CONTIENT QUELQUES SPOILERS CONCERNANT CERTAINES SCÈNES DU FILM NOUS VOUS CONSEILLONS DE VOIR LE FILM AVANT
Dix-huitième film du génie de Burbank, Miss Peregrine et Les Enfants Particuliers est l’adaptation du livre du même nom écrit par Ransom Riggs. Un livre dont on pourrait sans nul doute penser qu’il a été écrit pour Burton lui-même, tant ses thématiques et obsessions personnelles y sont contenues: peur de la différence et isolement volontaire, noirceur du monde dit “extérieur” et de son matérialisme, morbidité et attendrissante comédie noire, nécessité de la transmission et incompréhension intergénérationnelle – sans parler de l’amour immodéré des “freaks” qu’on lui connait – autant de motifs qui forment la synthèse quasi parfaite du cinéma burtonnien au sein de ces Enfants Particuliers.
Car particulier, Tim Burton l’est –et l’a été. Ainsi, cette ode à l’innocence trop vite enlevée va de paire avec un fond de toile très sérieux et inhabituel chez lui, à savoir la mention de la Seconde Guerre Mondiale et de ses épouvantables exactions – thème déjà présent dans le livre et qui ne saurait donc être porté à son crédit. A ce sujet, l’adaptation demeure, à l’exception de quelques menues libertés loin d’être inhabituelles à Hollywood, très respectueuse du roman dans son déroulement, sauf peut-être dans son troisième acte qui fera rager de nombreuses et nombreux addicts du livre d’origine, mais aussi certains férus du cinéma de Burton ou de son détractage systématique tant celui-ci est foutraque, rappelant ce qu’il avait infligé aux dernières minutes de son Dark Shadows.
Au-delà de cela, Burton exprime à merveille la sublime plastique qui le caractérise, ainsi qu’un sens du gothique et de l’esthétique d’époque qu’il maîtrise à merveille (une superbe séquence sous-marine nous plonge dans un bateau immergé au sein duquel deux enfants nagent parmi les squelettes des passagers trépassés), de même qu’une caméra de plus en plus fluide et agréable, magnifiée par la photographie de Bruno Delbonel (Dark Shadows, également). Lui à qui on reprochait son autocitation un peu trop systématique (Alice au pays des Merveilles ayant atteint en ce sens des sommets), Burton, sans se départir de clins d’œil (qui parfois n’en sont pas, tels des animaux en feuillage bel et bien présents dans le livre et que les fans d’Edward aux Mains d’argent auront très certainement remarqué ) se fait un petit plaisir en citant par le biais de deux séquences l’un de ses maîtres à penser, le génial animateur Ray Harryhausen, grand génie de la stop-motion. En effet, une séquence opposant deux homoncules en animation image par image et une bataille finale citant allègrement Jason et les Argonautes et son armée de squelettes (encore eux) figurent parmi les grands moments de gloire du métrage. De quoi éduquer le cinéphile en herbe autant que l’attentif averti qui saura apprécier ces charmantes références au sein d’un cinéma que d’aucun estime s’être figé avec les ambitions artistiques de Burton depuis l’aube des années 2000.
Pourtant, en termes de changements, Miss Peregrine marque la 3eme non-collaboration avec le compositeur Danny Elfman. Un mal pour un bien? Peut-être. Soyons honnêtes, le compositeur rouquin n’est pas au top de sa créativité depuis plusieurs films déjà, qu’ils soient de Burton ou pas et en contrepartie, le duo de compositeurs formé de Mike Higham et Matthew Margeson pond un travail qui, à défaut d’être innovent, demeure très touchant et efficace. Par ailleurs, on remarquera le retour d’un générique stylisé, marque de fabrique de Burton qu’il semblait avoir plus ou moins délaissé depuis Dark Shadows (toujours).
Niveau casting, quelques surprises également. On retrouve la sublimissime Eva Green dans le rôle titre, aussi facétieuse qu’inquiétante et dont le look et la personnalité ne jurent nullement au sein de la galerie de personnages concoctés par Burton (qui se paye aussi un caméo dans le film). Et si le jeune Asa Butterfield offre une prestation sympathique et toute en retenue, il permet de mieux mettre en avant les vraies stars du film: les enfants particuliers, tous plus attachants et crédibles les uns que les autres et dont la fraternité et le côté freaks à pouvoirs rappellera les meilleures heures de la saga X-Men (à laquelle le livre et ses thématiques empruntent beaucoup). Des enfants dont chaque don reflète de façon plus ou moins métaphorique les aspirations et traits de caractère du réalisateur – qu’il s’agisse d’un jeune marionnettiste animant littéralement tel un Docteur Pretorius adolescent des homoncules fait de bric, de broc et d’organes sanglants ou d’un jeune garçon guindé capable de projeter ses rêves sur une toile de cinéma via un monocle. Sans oublier un jeune garçon invisible, particularité que Burton lui-même avoue vouloir posséder.
Quant aux doyens de la distribution, si Samuel L. Jackson et Ruppert Everett sont aussi rares et cabotins que jouissifs à suivre, Terence Stamp (déjà vu en critique d’Art acerbe dans Big Eyes) incarne un grand père Abe très touchant. Quant à Judi Dench, elle demeure malheureusement anecdotique et il est dommage qu’elle ne soit guère plus étoffée.
En bonus, les plus attentifs et addicts de Burton auront sauté de joie de revoir O-Lan Jones, une habituée des premières grandes œuvres, d’Edward aux mains d’argent à Mars Attacks dont elle reprend d’ailleurs la passion des armes à feu.
Miss Pérégrine et Les Enfants Particuliers possède autant de qualités que de défauts propres au cinéma de Burton – en tout cas le plus récent. Au delà d’une adaptation très correcte, le réalisateur ne remplit malheureusement pas toujours son contrat purement scénaristique, trichant avec les règles qu’il tente d’établir le long de ses deux premiers actes, entre autre en ce qui concerne les règles temporelles ( qu’il avait déjà maltraité dans sa version de sinistre mémoire de La Planète des Singes). Mais comme il le reconnait lui-même volontiers, il ne “serait pas fichu de reconnaitre un bon scénario même si on le lui collait sous le nez”. Et s’il n’a jamais été un grand artisan des séquences d’actions, les écueils d’écriture et de rythme approximatif de cette séquence ne gâchent pas le soin apporté aux personnages et l’affection que Burton sait transmettre aux spectateurs de tout âge, ne reculant parfois devant rien pour traduire l’horreur et la violence de son récit, présentant une créature croque-mitainesque digne d’un film de Del Toro et du Slender Man, quand il n’insiste pas lourdement – et à notre plus grande joie – sur un groupe d’hommes et de femmes dévorant allègrement et avec délectation un grand plat d’yeux d’enfants morts.
Sorte de jumeau positivement abâtardi de Big Fish dont il prolonge les thématiques de la transmission des contes et la confrontation des générations avec un certain brio, Miss Peregrine demeure une belle fable bien ficelée et plus riche qu’il n’y parait. Dommage que l’on n’échappe pas à une pompeuse happy-end qui fait passer Burton légèrement à côté du sujet du livre initial, qui jouit à l’heure actuelle de deux suites disponibles en librairies. En effet, peu habitué aux séquelles, le réalisateur, qu’il soit tenu par la Fox d’honorer une clause de sécurité ou qu’il ait lui-même fait ce choix, adoucit la fin ouverte du roman en bouclant son intrigue, comme si elle se devait de rassurer le jeune public auquel il est – faussement – supposé d’adresser. Comme le signale Alexandre Poncet dans sa chronique publiée chez Mad Movies, Burton jouerait-il avec son troisième acte discutable pour nous présenter en filigrane un combat entre les exactions actuelles d’Hollywood et sa nostalgie personnelle ? Sinon, pourquoi les squelettes de Ray Harryhausen affronteraient-ils les terrifiants Sépulcreux en image de synthèse au cœur d’une fête foraine à la bande-son techno tonitruante ? Pour plaire aux enfants en vendant une belle histoire d’amitié et d’entraide face à la vraie monstruosité tout en restant « cools » ? Rien n’est moins sûr et il faudra peut-être quelques années avant que Tim Burton ne se confie – à demi-mots, comme sa pudeur légendaire l’exige – sur ce sujet amusant, sinon épineux.
Toujours est-il que dans sa pure forme de divertissement, Miss Peregrine et les Enfants Particuliers contient assez de beaux moments de gloire et d’idées esthétiques enchanteresses pour passer deux heures sans regarder sa montre, comme le fait Miss Peregrine elle-même tout le long du film.
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Retrouvez l’interview et la séance de questions/réponses du public lors de l’avant-première à Paris :
Miss Peregrine’s Home for Peculiar Children en salles depuis le 5 Octobre :
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- Crédit photos: 20th Century Fox 2016