Rencontre avec Rick Heinrichs : l’Éxpérience cinéma à la Cinémathèque – samedi 7 avril 2012 : Compte-rendu


Derrière chaque artiste, il y a toujours un second couteau, celui dont le nom n’apparaît pas immédiatement au générique mais dont le rôle s’avère déterminant dans le résultat final. Une «  âme damnée », pour ne pas dire un mécène du son ou de l’image. La présence obligatoire qui fera de l’objet artistique un joyaux poli et crédible. Chez Tim Burton, certains pourraient penser que c’est Danny Elfman, son compositeur attitré, mais il y en est un qui, bien que moins populaire que le musicien rouquin, a tenu un rôle déterminant dans l’imagerie Burtonienne. Rick Heinrichs est en effet le producteur designer et chef décorateur des plus grands films de notre échevelé de Burbank favori. On compte à son palmarès les grands succès qu’ont été entre autre Edward aux Mains d’Argent, Beetlejuice, l’Etrange Noël de Monsieur Jack ou Sleepy Hollow. Mais aussi des succès plus intimistes, comme le Fargo des frères Cohen, The Big Lebowski, Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire, ou encore, plus gros cette fois-ci, la trilogie Pirates des Caraïbes ou The Wolfman et Captain America.

C’est toutefois bien avant tous ces films, trente ans en arrière, que l’histoire à débuté, sur un petit court-métrage en stop motion, en collaboration avec Tim Burton. Lui et Heinrichs sont en effet les deux hommes derrière Vincent, culte petit hommage au comédien Vincent Price, conté par ce dernier et sorti de la tête de Burton lui-même en 1982. Depuis cette année, Rick Heinrichs n’aura de cesse de donner vie aux dessins fous sortis de l’esprit prolifique et poétique de son camarade pour les besoins de projets fascinants qui font encore aujourd’hui grand bruit dans le monde du cinéma classique et d’animation.

À conférence sur le design, conférence imagée. Et ce n’est ni plus ni moins que par la projection du fameux Vincent, dans une copie 35mm flambant neuve apportée par Rick Heinrichs, que les entrefaites sont lancées, en présence de Matthieu Orléan (commissaire de l’exposition Tim Burton pour la Cinémathèque Française). Une fois la lumière rallumée, le maestro du décor est là, tel Claude Rains surgit de ses bandelettes dans l’Homme Invisible, accueilli par une grande salve d’applaudissements respectueux.  « Bonjour », nous dit-il, installé devant un pupitre et un laptop Mac sur le côté du grand écran de la salle Henri Langlois, avant de poursuivre : « J’ai bien peur que ça soit là tout ce que je dirais en français aujourd’hui. J’ai fais Latin à l’école, voyez-vous… Je ne connais que des noms de fleurs et de maladies ». Après avoir remercier son traducteur pour la séance, Rick Heinrichs nous annonce qu’il va dans un premier temps nous parler de son métier, de ce en quoi il consiste, et il s’attardera ensuite sur sa relation avec Tim Burton et de son travail, longue de trois décennies, autant dire, toute sa vie professionnelle.

L’Étrange Métier de Rick Heinrichs :

« Le métier d’un chef décorateur est d’être à la tête du département artistique d’un film et se doit de former un véritable trio avec son réalisateur et le chef de la photographie. »

Bien qu’ayant appris son métier avec ferveur dans une école d’art, c’est avant tout en expérimentant que Rick Heinrichs a pu faire ses premières œuvres et ce, grâce en partie à sa collaboration avec Tim Burton.

Lui et ce dernier ont débuté ensemble à la California Institutes of the Arts, sobrement nommé « CalArt », qui  « comme vous pouvez le voir, a tout d’un country club américain » (prémices sûrement les messages cyniques à l’encontre de la banlieue que Burton lance dans ses films).

Fondée par Disney, cette école des arts possèderait un tout petit programme dédiée à l’animation, qui, au milieu du théâtre et de la danse, était le refuge rêvé de jeunes artistes innovants et un peu fous comme Burton et Heinrichs, mais aussi Brad Bird, Don Bluth ou encore Henry Selick. Tous devenus réalisateurs depuis. Loin d’être une partie de plaisir tous les jours, ces études permettent tout de même au jeune dynamic duo de se lancer dans des expérimentations farfelues, en témoigne l’extrait du court-métrage Luau, qui nous est projeté.

Un Tim Burton, jeune et binoclard, tout de blanc vêtu, déambule parmi des gentlemen endimanchés de noir sur la pelouse, en tentant de ne pas entartrer l’un d’entre eux avec son « colis à la crème »… Raté, Heinrichs est touché dans un cri de douleur…

«  Ce fût là mon premier contact avec le monde de Tim, un mélange entre de la Science fiction, de l’horreur, Jerry Lewis et des beach party ! Tout un programme burlesque qui se veut malgré tout extrêmement avant-gardiste. Pour Disney, Tim travaillait alors de façon trop peu “ tridimensionnelle ”. Comme je suis devenu très proche de lui à ce moment-là, j’ai décidé de prendre sur mon temps pour adapter certains de ses dessins en sculpture et maquettes, pour prouver aux dirigeants qu’ils avaient tort, mais l’esthétique ne leur convenait toujours pas, du moins, pas à leur politique. »

 

« J’ai réalisé que les dirigeants étaient tellement obnubilés par l’idée de respecter ce qu’aurait voulu Walt Disney lui-même, qu’ils en avaient oublié à quel point ce dernier avait été innovant et créatif en termes d’animation, à l’époque. Leurs oeillères étaient telles qu’ils ne pouvaient percevoir qu’autre chose se passait sous leur nez, autrement plus intéressant que des animaux qui parlent. »

Vincent, ou le début d’un univers :

Ce n’est donc pas le département d’animation qui va donner sa chance aux deux futurs cinéastes, mais le département cinéma, qui leur propose alors plusieurs concepts pour Disney Channel et leur permet ainsi de devenir une équipe indépendante au sein du département animation, leur permettant de travailler notamment sur le projet « Trick Or Treat » ou encore « Vincent ».

« J’ai commencé à analyser ce qui me plaisait tant dans l’univers de Tim. Ses traits, ses triangles, l’usage de cercles et de spirales, tout cet espace négatif à laquelle il apporte de l’importance dans ses dessins. C’est un vrai voyage, celui d’un personnage drolatique, dont on découvre parfois beaucoup de secrets au fur et à mesure. Chez Tim, ce qui paraît sûr et rassurant est tout sauf sûr et rassurant… Mais ce qui s’avère être monstrueux et tout à fait charmant, en réalité. Même les monstres ont des sentiments. Cette partie d’humanité au cœur de l’inhumain crée souvent beaucoup d’humour et le monstre le plus frivole est souvent le plus émouvant. Les monstres sont des manifestations extérieures de nos états d’âme, qu’ils soient extasiés ou en colère, voire terrifiés par leur destin. Vincent a pour moi toujours été supposé être en stop motion, j’en ai donc parler aux dirigeants des studios. »

Frankenweenie : sortir le chien :

Lassés des refus et de voir leur imagination bridée par les studios, Burton et Heinrichs quittent Disney pour fonder leur propre studio à Pasadena, avec comme idée première de  lancer des projets visant à mélanger le cinéma et l’animation. Ainsi naissent dans un premier temps une version très particulière d’Hansel & Gretel, conte Européen classique (ici revu et corrigé avec un casting intégralement asiatique et une esthétique influencée par les films de kung-fu et la SF japonaise) et surtout Frankenweenie, hommage au Frankenstein de Whale (1931), racontant l’histoire d’un petit garçon ramenant son chien mort à la vie…

« Sûrement le dernier projet susceptible d’intéresser un studio comme Disney, en 1984… C’est dire si la réputation de Tim avait évolué. » D’autres projets s’en suivent, comme un petit conte japonais d’animation, où deux enfants se transforment en fonction de leurs états d’âme ou la commande d’une adaptation d’Aladin, par Shelley Duvall (au générique de Frankewneenie).

Tous ces travaux divers et variés attirent enfin l’attention d’un studio, Warner Bros, qui se décident à confier à Tim Burton la réalisation de  Pee-Wee’s Big Adventure , basé sur le personnage éponyme, incarné par Paul Reubens pour la TV « personnage dont la sensibilité enfantine fait écho à celle de Tim Burton lui-même ». Le succès de ce film lui donna l’assurance nécessaire pour se lâcher sur le film suivant, Beetlejuice, sur lequel Rick Heinrichs fera de même, relachant l’univers de Burton sur écran : serpents, spirales, serpents de sable rayés, « le tout avec surprise et choc, la clé de la réussite graphique de Tim ».

The Nightmare Before Christmas, ou comment ressusciter un mort bien vivant !

« Plus sa carrière avançait en tant que réalisateur, plus il devenait clair pour moi que je deviendrai directeur artistique. J’ai donc dû apprendre le métier, comprendre le fonctionnement du poste de décorateur dans le cinéma conventionnel. »

« Avec les Batman , Tim était devenu bien plus que le petit dernier d’Hollywood. Les nouvelles équipes de Disney se sont, enfin, intéressées à un petit projet que Tim et moi avion laissé en plan là-bas, ce qui allait devenir The Nightmare Before Christmas. Ces dix années passées à travailler sur d’autres choses nous ont finalement ramené vers ce projet précis. J’ai sculpté les maquettes des personnages imaginés par Tim sur papier. C’était très excitant de tout voir prendre vie, comme si les personnages avaient attendu patiemment tout ce temps d’entrer en scène. Nous les avons d’ailleurs transformé en cours de travail, comme en témoigne la première version de Sally. »

« J’ai réussi à transmettre tout notre travail à une équipe très talentueuse. Il était important de retranscrire la sensibilité de Tim, sans imiter son style, ce qui aurait été une erreur, mais de mieux comprendre son monde pour lui apporter quelque chose. Travailler avec un artiste, c’est comme être berger pour chats… Très difficile à diriger… Il a été d’autant plus surprenant que cette collaboration fût à ce point fructueuse, certains allant même jusqu’à travailler de la main gauche pour accéder à un inconscient créatif ! Le résultat final semblait avoir été extrait d’un canvas de Tim. »

La parenthèse Cohen :

Après avoir travaillé d’arrache pied avec des dessinateurs, des animateurs et d’autres décorateurs, Rick Heinrichs, se sent près à passer à une autre étape, suite au travail colossal accompli sur The Nightmare Before Christmas, vieux fantasme devenu réalité. À l’aube de 1994, ce sont donc les frères Cohen qui débauchent l’artiste pour leur film Fargo .

« C’est très amusant de travailler avec eux, ils utilisent leur imagination fertile pour créer une galerie de personnages très particuliers et surprenants. Bien que ce fût là un projet très différent des autres sur lesquels j’ai pu travailler avant, surtout d’un point de vue esthétique, c’était aussi amusant que de travailler avec Tim. »

 Du travail à en perdre la tête: Sleepy Hollow et la Planète des Singes :

La collaboration suivante entre Tim Burton et Rick Heinrichs en tant que chef décorateur, fût celle de la mise en image d’un conte Américain classique, une fable d’horreur folklorique : Sleepy Hollow, le voyage d’un homme des lumières du XVIIIe siècle, se dirigeant vers l’obscurité cachée dans la superstition. « Un voyage cauchemardesque et métaphysique. La conception du village de Sleepy Hollow a annoncé dès le départ un voyage artistique très excitant. »

« La conception de maquettes m’a permit de mieux travailler sur la couleur et les textures. Et quand vous avez toute la puissance de feu d’une grosse société de production pour changer le rêve en réalité, on peut obtenir un résultat absolument magique. La réalisation de ce film m’a semblé une étape naturelle de notre collaboration avec Tim, comme l’avait été la réalisation de The Nightmare Before Christmas. C’était une manière de poursuivre l’expérience de conception graphique qu’on nous avait laissé entamer au début de notre carrière. En a résulté un monde très réaliste, qui aurait pu exister sous un vrai ciel nuageux. C’était devenu mon bac à sable. »

Après la diffusion d’un extrait de Sleepy Hollow, Rick Heinrichs en profite pour glisser un petit mot sur le travail de Danny Elfman dont il est un logique amateur.

« Lorsque Tim m’a proposé de travailler avec lui sur La Planète des Singes, j’ai été tout de suite enthousiasmé par l’opportunité de pouvoir jouer avec le concept d’espace-temps et de voyage d’une époque à une autre. »

 L’Art de construire un monde :

Suite à ce petit tour d’horizon de son travail avec Tim Burton, Rick Heinrichs se penche sur un autre projet sur lequel il semble avoir une affection toute particulière, Lemony Snikett’s A Series Of Unfortunate Events (Les Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire), dont il nous montre quantité de dessins préparatoires, d’images et de concepts.

« Sleepy Hollow et A Series of Unfortunate Events ont été, plus que d’autres, conçus comme des films que j’aurais faits en animation stop motion. Toutes les possibilités créatrices du cinéma y sont au service d’un monde très spécifique. On peut y créer une atmosphère très particulière grâce à la perspective et l’usage de la lumière et des textures, qui est ici une vraie boîte à outils émotionnelle. Les effets spéciaux nous ont permis d’étendre la qualité d’une étendue d’eau ou d’un ciel. En tant que chef décorateur sur ce genre de film, on doit sans arrêt jouer sur des effets situés entre le théâtre et la réalité plausible du récit qu’il y a à raconter. Toute cette palette de choix apporte une vraie innovation pour un monde précis, très excitant pour un décorateur. »

« Ces deux films ont nécessité une véritable stylisation de leurs mondes respectifs pour rendre crédible les personnages qui y vivaient. Une forme d’expressionnisme qui aurait eu besoin d’être crédible, mais aussi onirique. La photographie a été prise en charge par le merveilleux Emmanuel Lubezki, qui exerce aussi bien son art en extérieur que sur les acteurs. Pour le déroulement d’une scène, je suis dépendant du réalisateur qui a sa propre vision mais aussi des acteurs qui s’accaparent cet espace et sa conception. Dans mon métier, il est d’ailleurs fondamental que les décors que je crée soient au service de ces derniers. Un comédien est précis au travers des costumes, accessoires et décors avec lesquels il interagit. Ce sont des choses qui sont matière a beaucoup de discussions. Jim Carrey par exemple est un grand improvisateur et demandera souvent à ce qu’on ajoute un détail à la dernière minute. J’aime construire des images qui vont servir un récit visuel. Je réponds aux personnages par des métaphores visuelles qui créeront une réponse émotionnelle immédiate. Ces dernières transmettent au public une compréhension explicite et instinctive des personnages et du monde qu’ils habitent. Une forme de récit pour l’œil intérieur. Seul l’œil comprend cela. C’est un processus organique qui demande beaucoup de recherches et de documentations. Cela mène souvent sur des chemins inattendus, qui me surprennent moi-même. Et j’espère surprendre mon réalisateur au passage. »

« Au début du processus de création, j’essaye d’identifier dans mes documents, des textures et un panel de couleurs précis, qui me rappèleront ce que j’ai vu à la première lecture du scénario. Par la suite, je travaille avec le département déco pour parvenir à l’objectif désiré. Nous définissons nos priorités et travaillons collectivement à l’affinage du tout avec le réalisateur. Nous fabriquons des maquettes, et encore des maquettes… Il s’agit de trouver un équilibre entre les impératifs de la production et l’impact émotionnel sur les spectateurs. Si tout va pour le mieux, nous aurons réussi à créer un environnement capable de soutenir une histoire en termes visuels. De nombreux compromis difficiles ont en fait servi à préciser l’importance du concept de départ et à éliminer le superflu. »

Rick Heinrichs et Johnny Depp sur un bateau… Qui tombe à l’eau ?

« Un travail sur un film, pour un décorateur peut s’apparenter à un voyage métaphysique, mais dans le cadre des films Pirates des Caraïbes, nous avons effectué de vrais voyages. »

Une vidéo de tournage de Dead Man’s Chest, montrant Gore Verbinski imitant Johnny Depp courant de façon efféminé sur la plage est montré, provoquant l’hilarité générale de la salle.

« Je ne m’étais pas rendu compte, avant de travailler sur ces films, à quel point les vaisseaux d’époques pouvaient être beaux. J’ai donc dû intégralement me documenter sur eux pour ces films, et ça a été un plaisir car ce sont de véritables œuvres d’art humaines dictées par les forces de la Nature, sculptées dans des formes animales, de poissons ou d’oiseaux. Une grande réussite humaine d’un point de vue artisanal. Ces films parlent de la fin d’une époque, celle de l’Aventure, du mystère, du danger et de l’arrivée d’une nouvelle époque et de la rude rationalité qu’impliquent l’ordre et le commerce mondial. Mais aussi le déclin du mystère romantique. Toutefois, ce dernier persiste dans le Bayou de la Louisiane, de même que le danger, en haute mer. Les êtres humains créent donc leurs refuges dans des endroits inattendus et construisent leur mode de vie en harmonie avec ces environnements, faits de plantes et de vie animale. Rien n’est perdu, et tout est sujet à création pour qui a bille en tête. »

« Gore Verbinski nous a lancé un vrai défi : créer tout ce qui pouvait être crée physiquement, sans avoir recours aux effets spéciaux, pas une demande facile à honorer. Il nous a fallu un pinceau gigantesque pour “ peindre ” ce tableau-ci, une véritable aventure mythique. »

« Dans le troisième film, Gore voulait capturer le sentiment d’anéantissement de la fin d’une période, celle de la liberté incarnée par les pirates. »

« Pour Singapour, où les amis de Jack se rendent pour l’aider à quitter son purgatoire, nous avons dû laisser notre imagination vagabonder car il n’existe aucun document visuel précis de cette partie du monde à cette période précise. Nous avons décidé de construire Singapour en studio, ce qui nous a prit deux mois. C’est un énorme défi de construire une ville entière en studio. Nous avons stocké un énorme réservoir d’eau et avons finalement rempli ce studio avec. Un grand directeur de la photographie peut capturer tout cela pour lui donner vie. Pour la première entrevue avec Sao Feng, nous voulions un endroit propre et classieux, mais le réalisateur a finalement décidé que cela devait avoir lieu dans une salle thermale cradingue… Et il avait raison. »

« Dans le script, la jonque des personnages est décrite comme une vraie épave. Mais sous son apparence, sa forme est magnifique. Cette jonque devait traverser un paysage Arctique, traverser la nuit et atteindre le bout du monde. Nous en avons créé une autre pour le capitaine Sao Feng, un véritable paon parmi la flotte chinoise. Il est incroyable de voir la différence d’un bateau à l’autre, en fonction de la partie du monde dont il vient, sachant qu’ils avaient tous le même but. L’ornementation et les matières sont le reflet de l’influence asiatique. »

«  La confrérie se retrouve à la Baie des Naufragés pour trouver une stratégie contre la flotte de la compagnie des Indes. Pour ce lieu, le réalisateur nous a décrit une cavité volcanique remplie d’épaves de bateaux, une sorte de croisement entre un camping pour pirates et un cimetière de baleines. La première réunion des pirates a lieue au cœur d’un bateau renversé. Nous avons conçu des modèles réduits de personnages pour pouvoir entamer ce travail avec le directeur de la photo et le réalisateur. Un des aspects étonnants de mon métier, c’est qu’on me demande parfois des choses surprenantes, comme créer des guitares d’époque pour un membres des Rolling Stones. »

« Pour le Hollandais Volant, bateau du XVIe siècle corrompu en une vision cauchemardesque, nous avons dû utiliser des techniques traditionnelles et d’autres qui l‘étaient moins. Nous avons eu la chance de pouvoir mettre le navire à l’eau juste avant que les grandes grues qui nous ont aidé aient dû partir à la Nouvelle-Orléans, afin de réparer les dégâts de l’ouragan Katerina. »

«  Patiner quelque chose de neuf pour le rendre vieux en si peu de temps est toujours un défi, et quand il faut lui donner l’apparence d’un bateau naufragé qui a été perdu deux siècles au fond des mers, c’est très amusant. »

« La fin du film est une bataille entre les pirates et la compagnie des Indes, autour d’un malstrom. Nous avons décidé de construire les ponts de chaque bateau sur des plates-formes mobiles pour donner l’effet de roulis et d’abordage. Les décors, tout comme les personnages, évoluent, tout comme le Hollandais Volant qui a recouvert son apparence initiale à l’issue de la bataille. »

Dessine moi un mouton, Monsieur Loup :

« Le projet Wolfman m’a donné l’opportunité d’explorer le conflit intérieur fondamental du genre humain, avec le concept des êtres humains perçus comme des créatures civilisées, mais restant des bêtes motivées par l’instinct de survie, quoi qu’il arrive. Le XIXe siècle est une période de grandes contradictions qui permet d’avoir un décorum idéal pour ce genre de thème.  La Grande-Bretagne d’alors s’est crue être la nation la plus civilisée au monde, le commerce leur apportant une grande prospérité et un contact constant avec le monde extérieur, comme si Dieu lui-même leur avait donné le droit de juger le monde et ses manières. Mais il y avait aussi une vie sordide et une corruption des moeurs, en marge de l’ordre social. »

« Ce film est l’histoire d’un homme dont la nature animale est en contradiction avec son côté civilisé. Mon travail était de traduire le récit en terme visuel. Quand ses traits de caractères entrent en conflits les uns avec les autres, on trouve là les éléments d’une véritable histoire. Les gens de la campagne vivent dans un monde de superstition à l’ombre d’évènements que la civilisation ne saurait comprendre. La modernité et la technologie propres aux villes rentrent en conflit avec cette nature, et permet la création d’un vrai terreau pour développer les personnages. La seule bonne chose qu’apporte la civilisation est d’empêcher de nous détruire les uns les autres. »

Vers un sombre avenir…

Après ce récent tour d’horizon, Rick Heinrichs se penche maintenant en guise de conclusion, vers l’avenir le plus proche et celui qu’il semble trouver le plus excitant, celui qui est sous le joug des deux nouvelles collaborations qu’il lance avec Tim Burton pour cette année 2012, à savoir les déboires de la famille Collins dans Dark Shadows, et la nouvelle résurrection de Sparky dans le remake en stop-motion de Frankenweenie, prévu pour Octobre prochain.

« Au fil des années, avec Tim, nous retrouvons nos idées premières. J’ai toujours pensé que l’apogée de la création était de donner vie à quelque chose d’inanimé. Frankenweenie ressuscite, cette fois en stop-motion, en trois dimensions et en noir et blanc, qui plus est, merci à Disney pour ça ! Avec Dark Shadows, on revient au XVIIIe siècle mais aussi aux années 70, ma décennie préférée : la débauche, le rock’n roll, des pantalons à patte d’éléphants et aux mauvaises coupes de cheveux… Ou peut-être que tout cela n’a qu’un rapport avec moi (rires) ! Ce film m’a offert l’opportunité peu commune d’explorer un mélange des deux styles, fin année 1770 et les années 70. Comme toujours l’artisanat manuel a été encore plus important que le travail avec des ordinateurs. »

« Retrouver Tim est toujours génial. Je me rappellerais toujours de cette période de nos vies où c’est l’ennui qui nous motivait à créer. »

La rencontre :

C’est sur une photo d’archive absolument inédite de Tim Burton, endormi dans un siège chez Disney, que se conclut cette master-class très imagée, qui a malheureusement prit un brin de retard par rapport à l’heure prévue. Mais Matthieu Orléan et ses équipes tiennent vraiment à avoir l’opportunité de parler un peu avec l’artiste, et permettent même à certains spectateurs de poser de rapides questions sur le travail titanesque accompli avec Tim Burton sur tous ces projets ambitieux. L’une des questions essentielle est bien sûr de savoir à quel point ce retour au travail avec Tim Burton pouvait avoir de l’impact sur sa carrière actuelle, après avoir travaillé avec d’autres pendant plusieurs années.

« C’est merveilleux d’avoir pu retravailler avec Tim. C’est comme retrouver de la famille, avec Danny Elfman, Johnny et Helena, aussi. Je respecte énormément son talent et son travail, ainsi que les projets qu’il choisit qui sont toujours peu communs et excentriques. Sur ces deux derniers projets, il a vraiment atteint son top niveau en tant que réalisateur. »

– Est-ce que Tim Burton a changé ? Est-ce que son esthétique et sa vision du cinéma ont changé, par rapport aux premières années de travail que vous avez partagé ?

« Et bien il porte des lunettes maintenant et sa barbe grisonne (rires) ! Je pense qu’il a évolué avec le temps, bien sûr. Il est maintenant au top de sa performance en tant que metteur en scène. Il a énormément appris. Bien que certaines choses ont changé ou évolué, je ressens toujours toutefois son inspiration originelle, ce qui fait le cœur de son travail, qui persiste, et cela l’a toujours caractérisé. Il s’inspire de son monde à lui pour créer. »

– Est-ce qu’il vous communique son inspiration et inversement ? Échangez vous des ouvrages, ou d’autres films pendant que vous préparez un long-métrage ?

« C’est assez intéressant car quand nous avons commencé à travailler ensemble, on ne s’intéressait pas aux mêmes choses. Je n’y connaissais rien en monstres japonais et en films d‘horreur. J’étais plus inspiré par les bandes dessinées et les romans graphiques, les vampires ou le monstre de Frankenstein, qui avaient aussi été adaptés sous ce format, également. Peut-être que cela vient du fait que je sois originaire du nord-est des Etats-Unis, où j’imagine l’édition a de l’importance, et que Tim a grandi près d’Hollywood, où le cinéma faisait loi. Quand nous avions commencé à travailler sur Sleepy Hollow, il m’a recommandé pas mal de films de la Hammer (ndlr , société de productions Anglaise ayant produit toute une série de films d’épouvantes dans les années 50 à 70, mettant souvent en scène des monstres classiques comme Dracula ou Frankenstein), dont la plupart m’ont semblé assez difficiles à regarder (rires) mais quand vous les voyez, vous comprenez l’attachement personnel qu’il y accorde. En ce qui concerne le dessin, Tim est un grand dessinateur, dont le genre est très communicatif, très stylisé et excentrique. J’ai suivi une formation un peu plus scolaire que lui, je m’y suis beaucoup entraîné, en dessin comme en sculpture.J’ai pu apprendre à maîtriser plusieurs styles differents, ce qui fait de moi, du moins je le pense, quelqu’un d’assez efficace dans mon métier. J’essaye d’inclure un grand nombre de détails issus de ses dessins et, son style a un trait très simple et direct. Quand je vois son travail, j’arrive à “ lire entre les lignes ” pour en tirer quelque chose. »

Comme le précise bien Matthieu Orléan, Rick Heinrichs a été très concis lors de sa présentation, mais il permet toutefois qu’une ou deux questions soient posées par les spectateurs parmi lesquelles :

– À quel stade de la production d’un film les deux cinéastes travaillent-il ensemble ?

« Idéalement, dès le départ. Tous les cinéastes avec qui je travaille sont très visuels, comme Bruno Delbonel, un de vos compatriotes Français, sur Dark Shadows. C’est aussi un très bon dessinateur et directeur de la photographie. Il me semble qu’il a travaillé avec Jean-Pierre Jeunet en tant qu’animateur, tout comme nous au début. Entrer en production d’un film, c’est entrer en guerre avec les producteurs, et comme je suis très enthousiaste à l’idée de partager le plus de mes idées possibles, j’essaye de faire du directeur de la photo et du réalisateur mes alliés afin de les convaincre du bien fondé de mes idées… C’est comme ça qu’on gagne la guerre (rires). »

– Est-il déjà arrivé que Tim Burton ne soit pas à la base d’un projet esthétique et vous laisse seul juge d’une base de travail ?

« Ça, ça arrive tout le temps (rires). Il n’y a pas de projet prédéfini, il y a surtout de l’expérimentation. Parfois, ça marche, parfois non. Le conseil que je donnerais à un jeune chef décorateur, c’est de s’armer de patience pour qu’une collaboration marche, avant tout.  Une collaboration efficace, c’est d’essayer un grand nombre d’idées et de voir à quel point elles peuvent participer à la perception d’un personnage ou d’un récit. L’ idée n’est pas de chercher LA bonne réponse mais d’enclencher un processus de choix qui créera un univers par la suite. »

Sur ce, Matthieu Orléan s’intéresse à un leitmotiv graphique intéressant chez Burton, mais aussi chez d’autres réalisateurs, celui de la nature anthropomorphique et onirique…

– Est ce que ce détail récurent viendrait de Rick Heinrichs ?

« …Oui (rires) ! Oui, ça vient de moi, ça (rires). Comme je l’ai dis, enfant, je lisais beaucoup de bande dessinée, et j’ai toujours été attiré par la façon dont un personnage ou un récit sont dépeints de telle façon à vous emmener sur une voie, mais que tout change soudainement, c’est très amusant. Dans un même temps, je ne m’intéresse pas vraiment aux films du genre “ gore ” ou autre. J’aime l’idée qu’on puisse surprendre en chevauchant la ligne entre épouvante et humour, ce qui Tim fait sans arrêt à merveille. »

Une dernière question pertinente de Matthieu Orléan porte sur la technologie, qui prends une part très importante dans nos sociétés mais aussi au cinéma. Sous un dehors légèrement critique, Matthieu Orléan soulève que Rick Heinrichs conserve une part très artisanale dans sa façon de travailler, en dessinant et en réalisant des maquettes. Cela fait-il parti de son procédé naturel de création ?

« Tim et moi en avons parlé très tôt, dès le début de notre collaboration. Pour nous, le concept de base devait toujours prédominer sur l’expertise technologique ou technique… La technologie va d’autant plus vite aujourd’hui, et cela ne va pas aller en ralentissant. Une idée de projet original est bien plus rare et difficile à obtenir que la progression de la technologie en elle-même. »

– Et que deviennent toutes les photos vue aujourd’hui, les dessins, les maquettes de tous ces projets qui n‘ont pas vu le jour comme True Love, Trick or Treat ou Dream Factory ? Etaient-elles bien conservées chez vous ou étaient-elles en train de dépérir dans un grenier ? Imaginiez-vous qu’elle seraient exposées un jour ?

« Si vous avez vu mon travail dans l’exposition, vous devez bien penser que jamais je n’aurai imaginé qu’elles soient exposées. Certaines tombent littéralement en poussière ! Si seulement j’avais su, j’en aurai pris grand soin. Heureusement, aujourd’hui, je suis bien plus soigneux avec mon travail. J’ai reçu récemment une photo d’une maquette, par l’assistante de Tim, que j’avais réalisé pour l’original de Frankewneenie, il y a trente ans. Elle est dans un état lamentable, elle pleure de l’huile par les yeux… Ces maquettes faisaient toujours partie d’un processus créatif et n’avaient pas de but en soi, mais aujourd’hui je regrette de ne pas les avoir bien conserver. »

Compte-rendu et traductions par Arnold, relecture et modifications par Loïc.