Master-Class de Tim Burton à la Cinémathèque – lundi 5 mars 2012 : compte-rendu


Voici un compte-rendu de la Master-Class de Tim Burton qui s’est déroulée le lundi 5 mars 2012 à 15h dans la salle Henri Langlois à la Cinémathèque Française. Elle fut animée par le commissaire d’exposition Matthieu Orléan. Tim Burton y aborde entre autres sa jeunesse à Burbank, ses premières vidéos, la technique d’animation image par image, ses dessins, son rapport à l’Amérique et quelques projets avortés tel que Superman Lives ou Conversation With Vincent.

Bonne lecture !

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Après que Tim Burton ai remercié le public d’être venu si nombreux, la Master-Class a commencé en diffusant un passage du film Ed Wood sorti en 1994, avec la fameuse scène de la pieuvre en caoutchouc. Extrait ô combien emblématique dans lequel Ed Wood demande à Martin Landau, jouant le rôle de Bella Lugosi, de se débattre avec cette énorme pieuvre. Pourquoi avoir choisi Ed Wood? Outre le fait qu’il ouvre le cycle de la rétrospective dédiée à Tim Burton (diffusé donc mercredi 7 mars à la Cinémathèque), c’est aussi son seul film live qui traite d’un autre réalisateur et qui soit tourné en noir et blanc.

Ed Wood, réalisé en 1994 par Burton, est inspiré du livre Nightmare of Ecstasy : The Life and Art of Edward D. Wood, Jr écrit par Rudolph Grey en 1992, lui-même inspiré de la vie de l’homme sacré pire réalisateur de tous les temps. Matthieu Orléan en profite pour faire des rapprochements entre le vrai Ed Wood et Tim Burton, tant sur le plan professionnel que personnel en demandant à Burton si il se sentait proche de ce réalisateur et pourquoi l’avoir choisi lui plutôt qu’un autre. Avant de répondre, Tim remercie encore une fois les gens de s’être déplacé et précise que la plupart d’entre eux ont sûrement vu le film en entier.

Ce qui a intéressé Tim Burton en lisant le livre et en écoutant le réalisateur parler de ses propres films, c’est qu’il donne l’impression de tourner Star Wars tellement il est passionné et investit dans ses créations. Avec lui, la limite entre le bon et le mauvais est très mince, ce qui met en avant le côté illusoire de la réalisation. Ed Wood est connu comme le pire réalisateur de tous les temps et pourtant on se souvient encore de ses films. Tim Burton aime la dynamique qu’il y a entre ce qui est considéré comme une réussite ou un navet, entre l’Art et ce qui n’en est pas. Lui-même est passé par là et ce qui est le plus important pour lui, c’est toute la création qui entoure la réalisation d’un film, qu’elle soit elle-même comprise ou non. C’est ce qui fait la beauté du cinéma. Burton a ajouté que la seule différence qu’il entretienne avec Ed Wood est qu’il ne se travestit pas en femme.

Matthieu demande si il est juste de dire que d’autres films comportent aussi une part d’autoportrait, notamment en voyant les dessins préparatifs de son premier court-métrage Vincent. Burton acquiesce volontier en disant qu’il s’est toujours efforcé d’apporter sa propre personnalité à toutes les œuvres dont il n’est pas l’auteur. L’histoire de Vincent vient du fait qu’il se sentait seul et torturé dans sa jeunesse et qu’il n’arrivait à s’identifier qu’aux personnages qu’interprétait Vincent Price. C’était quelque chose de très spécial et personnel pour lui à l’époque. Il se souvient avoir dit à un journaliste Allemand que les films de Vincent Price lui avaient sauvé la vie. Alors que Burton parlait de l’effet psychologique que ses films avaient sur lui, le journaliste s’imaginait que sa vie était en réel danger… Il a envoyé le projet à Vincent Price en personne, qui l’a tout de suite compris. C’est en acceptant de faire la narration du court-métrage que la première expérience de Tim Burton vît le jour. C’est vraiment à partir de ce moment là que Burton s’est toujours efforcé de faire les choses le plus personnellement possible.

Matthieu revient ensuite sur les premiers souvenirs cinématographiques de Burton lorsqu’il était encore à Burbank en Californie. C’est à cette époque qu’il a découvert le cinéma Européen et notamment l’expressionnisme Allemand, référence majeure de sa filmographie. En effet, Tim Burton explique que lorsqu’on grandit dans une banlieue pavillonnaire très ensoleillée comme Burbank, on est toujours à la recherche d’un échappatoire afin de découvrir d’autres aspects de la vie. C’est pour ça qu’il était attiré par les films d’horreur et l’expressionnisme Allemand. L’ambiance très sombre et les textures torturées de ces films compensaient avec le soleil omniprésent de la Californie. Il regardait ces films à la télévision mais il y avait aussi un cinéma à l’époque, qui proposait 3 projections pour 50 centimes. Ces films étaient un mélange et une combinaison de styles; dans la même soirée vous pouviez voir Godzilla, Scream Blacula Scream et Dr Jeckyll & Sister Hyde. Tim Burton a toujours autant d’adoration pour la télévision et les cinémas qui projetaient ces films de série B.

Ce qui nous amène à la confrontation de l’ancien et du nouveau Hollywood avec des acteurs de différentes générations comme dans la séquence d’Ed Wood où Johnny Depp dirige Martin Landau. Que ce soit Jack Palance, Sylvia Sidney, Vincent Price ou encore Christopher Lee, ils ont tous tourné avec Tim Burton. Pour le réalisateur, ce sont surtout de grands acteurs qui l’ont inspiré pendant toute sa jeunesse et qui ont encore beaucoup à offrir. Hollywood a tendance à oublier les anciens acteurs assez rapidement. Il se souvient avoir proposé le nom de Christopher Lee pour le tournage de Sleepy Hollow mais un producteur lui avait affirmé que l’acteur était mort ! Burton trouvait ça marrant de se dire que plusieurs années après, c’était ce même acteur mort qui avait joué dans The Lord of the Rings, Star Wars et pleins d’autres films… Pour lui, ces acteurs lui ont tellement apporté et ont été une telle source d’inspiration qu’il ne pourra jamais s’empêcher de tourner avec eux.

Matthieu Orléan en profite pour faire un lien enfant/grand-parents, notamment avec Mars Attacks où le personnage de Ritchie entretient une relation très privilégiée avec sa grand-mère alors que ses propres parents sont quasi-absents du film et vont finir par être tués par les Martiens. Ce rapport est évident quand on sait que Burton a emménagé avec sa grand-mère à Los Angeles quand il avait 10 ans. Encore une fois, Burton trouve que notre culture ne montre pas assez de respect envers nos anciens alors que lui-même a comprit très tôt l’importance de ce genre de relations qu’il chérit tout particulièrement.

L’exposition consacrée à Tim Burton est aussi l’occasion pour les visiteurs de découvrir ses premiers films d’adolescent, aussi bien en animation qu’en prises de vues réelles, tournés dans les années 70 comme Tim’s Dreams et Houdini. Matthieu Orléan les décrit comme de véritables bijoux de créations, touchants et à la fois fabriqués grossièrement mais Tim s’empresse de remettre ses films dans leur contexte. Quand il était plus jeune, Burton était assez paresseux en classe. Un jour, il devait faire un compte rendu d’un livre sur Harry Houdini, l’un des plus grands prestidigitateurs de l’histoire, et alors qu’il était déjà très en retard et qu’il n’avait pas lu le livre, il décida de tourner une vidéo en super 8 sur lui. C’est lorsqu’il a reçu une très bonne note pour sa vidéo que Tim Burton a trouvé l’idée de réaliser des films très intéressante. Pour lui, le fait de s’être amusé à faire cette vidéo et d’avoir reçu une récompense en même temps était une très bonne expérience. À l’époque, beaucoup de ses camarades aimaient mettre le feu à des maquettes dans leur jardin et filmer le résultat. Tous les enfants faisaient de la stop-motion comme lui et c’était une chance pour lui de continuer cette expérience avec le cinéma par la suite. Tim rajoute en rigolant que ses films semblent plus intéressant avec des sous-titres français. L’autre particularité de ses films de jeunesse était qu’il jouait lui-même dedans, chose qu’on ne retrouve pas dans ses films au cinéma. Burton avoue qu’il jouait tellement mal que c’est une bonne chose de ne pas avoir continué dans cette voie-là. Il a même essayé une fois de jouer dans un de ses propres films mais il s’est lui-même coupé au montage tellement la performance était médiocre. C’est bien pour cela qu’il préfère rester derrière la caméra et non devant.

Le dessin fait aussi parti intégrante du processus de création de ses films comme le montre la dernière partie de l’exposition. Ayant travaillé chez Disney à ses débuts en tant qu’animateur, Tim Burton été habitué à faire des storyboards et des dessins préparatoires pour les films. Mais en tournant avec de vrais acteurs enclins à l’improvisation, il s’est rendu compte au fil des années qu’il n’avait plus besoin de faire des dessins très précis et qu’il préférait privilégier la spontanéité du tournage. Cependant, il continue encore aujourd’hui à faire des petits dessins, pour certains films plus que d’autres. Il dessine de façon très littérale et il estime avoir de la chance de travailler avec certains personnes comme Colleen Atwood, sa costumière attitrée depuis Edward Scissorhands, ou d’autres collaborateurs qui comprennent immédiatement l’esprit et l’intention derrière ses dessins. Il s’efforce de trouver des collaborateurs capables de sentir ses intentions face à un dessin parfois très primitif. Mais ce sont au final d’avantage des dessins personnels qui font parti de son propre processus de création plutôt que des œuvres qu’il partage avec tout le monde.

Quand il dessine des personnages comme le Joker, il ne pense pas forcément à l’acteur qui va l’incarner, en l’occurrence Jack Nicholson. Néanmoins, il se souvient avoir fait un croquis où les personnages ressemblaient étrangement à Johnny Depp et Helena Bonham Carter bien avant de tourner Sweeney Todd. Même si tous ses dessins se ressemblent plus ou moins, celui-ci faisait parti de ceux où la ressemblance entre le croquis et l’acteur est frappante bien des années plus tard. Cela arrive quelques fois mais c’est surtout de manière inconsciente que Burton dessine, sans penser à des acteurs précisément. C’est une façon automatique pour lui de coucher ses idées sur le papier. Il a fallu beaucoup de dessins de squelettes avant que le personnage de Jack Skellington n’apparaisse.

À côté de cela, il y a les croquis de paysages et de décors auxquels fait référence Matthieu Orléan. La plupart de ces croquis font appel à l’imaginaire et aux comptes gothiques, ce en quoi les décors de studios répondent parfaitement. Cependant, Tim Burton a insisté pour tourner certaines scènes de Sleepy Hollow en milieu naturel car il aime aussi bien les deux. Il y a quelque chose de magique dans la création de décors. Pour ce film en particulier, ils ont créé de fausses perspectives, utilisé des maquettes d’arbres de plus en plus petites pour avoir une certaine profondeur, animé des marionnettes dans le fond pour créer du réalisme etc… C’est amusant à faire car ça renvoie aux techniques ancestrales cinématographiques et le fait de tourner en milieu naturel permet aux acteurs de sentir l’atmosphère d’une scène. Le pire pour Burton est de tourner devant des fonds verts car tout le monde en souffre, le réalisateur comme l’acteur. Il a pourtant déjà utilisé cette technique notamment pour Alice In Wonderland mais ça rendait pour lui, le film plus difficile à tourner. Tout ce vert rendait les comédiens malades et les empêchait de rentrer dans l’esprit d’une scène. Les décors naturels et/ou studios sont définitivement plus bénéfiques aussi bien pour le réalisateur que pour toute l’équipe technique ou les acteurs.

Nous en arrivons à une caractéristique des films de Burton qui ne peut pas se transmettre par le dessin : la musique. Danny Elfman est le compositeur attitré de Tim Burton depuis son tout premier film Pee-Wee’s Big Adeventure en 1985 et malgré deux films où il n’est pas présent (Ed Wood et Sweeney Todd), Danny Elfman est toujours là pour sublimer ses œuvres et entretient une relation toute particulière avec le réalisateur. Danny Elfman avait son propre groupe Oingo Boingo et jouait dans des soirées à Los Angeles pendant que Tim Burton était encore étudiant. Même si leur musique était principalement du Rock, Tim la trouvait très cinématographique et lui a demandé de composer la musique de son premier film. C’était donc le premier projet cinématographique pour tous les deux et ont vécu la genèse d’un film en même temps. De cette expérience en est ressorti deux hommes avec le même départ, la même attitude face à certaines choses et les mêmes goûts. Burton le traite comme un personnage important de chaque film. Pour lui, il est difficile de trouver le bon équilibre entre humour et drame, ce que Danny Elfman arrive pourtant à faire parfaitement et c’est pourquoi ils travaillent toujours ensemble aujourd’hui.

Alors que Danny Elfman et son groupe étaient associés au mouvement Pop Surréalisme de Los Angeles à la fin des années 60, Tim Burton ne se sentait proche d’aucun mouvement. Los Angeles est un endroit très isolé où tout est éparpillé sans réel centre-ville. Burton y a grandit mais s’est toujours sentit très seul à cause de ces longues distances qu’il fallait parcourir en voiture. L’étendue est telle qu’il ne s’est jamais sentit connecté avec un quelconque mouvement. C’était une ville très solitaire où Burton ne savait jamais où aller et où les gens ne savaient pas où sortir ni quoi faire le soir. Pour Tim, c’était un endroit assez bizarre pour grandir. C’est pour toutes ces raisons qu’il dessinait énormément. À l’époque, il ne parlait pas souvent et n’était pas quelqu’un qui s’exprimait beaucoup par la parole. À tel point que certaines personnes pensaient qu’il était muet pendant un temps. C’est vers ses 20 ans, lorsqu’il a commencé à diriger des personnes que Burton a été forcé de communiquer avec les gens. Comme le sport, la musique ou l’écriture pour certains, le dessin était une forme d’expression qui lui permettait d’explorer ses sentiments, de faire sortir certaines choses et de communiquer de manière générale.
Toujours avec ce rapport dessin/film, la question de la stop-motion a été abordée, notamment avec son prochain film Frankenweenie, deuxième réalisation en noir et blanc après Ed Wood. Il a lui-même grandit avec des films de stop-motion et plus précisément avec les animations de Ray Harryhausen qui a été une très grande source d’inspiration pour lui et pour tant d’autres artistes. Pour lui, toute la différence avec les images de synthèses est de voir et de sentir les différentes textures, figurines, maquettes et décors qui créaient la magie et la beauté de l’animation image par image. Tout est éclairé et mis en lumière comme un film en prises de vues réelles et quand il a eu la possibilité de tourner Frankenweenie en noir et blanc pour se rapprocher le plus possible de ses tout premiers dessins, il n’a pas hésité une seconde. C’est une forme d’animation et d’Art qu’il a toujours aimé, c’est pour ça que The Nightmare Before Christmas et Corpse Bride ont été tourné en stop-motion. Pour lui, faire le film en noir et blanc et en animation image par image était une idée très excitante.

Les figurines faisant plus de 30 centimètres de haut, tous les décors étaient proportionnels. Le décors de la banlieue faisant pratiquement la taille du plateau de la Master-Class, Burton se sentait comme un géant sur le plateau de tournage. Tout ce que vous pourriez voir sur un film en prise de vues réelles est condensé et présent sur un décors à échelle réduite, le tout mis en lumière de manière classique, ce qui fait toute la beauté de la stop-motion. Le travail d’un animateur est très spécial mais aussi gratifiant car il faut bouger les figurines pas à pas et les objets inanimés prennent vie à l’image de la créature de Frankenstein ou Pinocchio. Pour Tim Burton, c’est une branche très particulière de l’animation et à l’heure où les studios préfèrent les images de synthèses, il y a encore des gens qui adorent l’animation et il trouve ça vraiment remarquable.

Pour Frankenweenie, Burton a collaboré avec le scénariste John August qui était très ouvert à toutes les idées personnelles du réalisateur. Étant le remake de son tout premier court-métrage tourné en 1982 en prises de vues réelles, Burton se sent très proche de l’histoire et des personnages. Mais en tant que remake en stop-motion, les idées sont venues par le biais de conversations entre Tim et John, par l’animation des personnages, par le storyboard etc… La stop-motion entraine d’avantage de collaborations d’un point de vue scénaristique, qu’un film en tournage réel.

Matthieu Orléan donne ensuite la parole au public. La première personne lui a demandé pourquoi il faisait du cinéma et si il avait eu le temps de voir le DVD qu’il lui avait donné la veille. Tim répond en s’amusant qu’il n’a pas le temps de lire ses propres scénarios en général donc il n’a pas eu le temps non plus de voir son DVD. Par contre il l’a toujours, contrairement à la clé de sa chambre d’hôtel qu’il avait visiblement perdu. Pour ce qui est de la première question, Tim dit que si au départ il a fait du cinéma, c’est parce qu’il n’arrivait pas à avoir un réel travail ! Plus sérieusement, il se sent très chanceux de faire du cinéma et pour lui, c’est une forme de thérapie excessivement chère. Normalement on paye pour qu’un psychanalyste nous écoute et là, c’est lui qui est payé pour imprimer ses traumas et peurs sur la pellicule. Mais pour lui il n’y a rien de mieux et imagine chaque nouveau projet comme son dernier. Il réalise à quel point c’est une chance de faire ce métier et de collaborer avec tant d’artistes de grand talent, acteurs, chefs opérateurs, costumiers, maquettistes etc… C’est un métier vraiment unique qu’il ne considère jamais comme acquis.

La deuxième question était orientée sur ce que pouvait lui apporter l’animation en stop-motion par rapport à la direction d’acteurs. Pour Burton, c’est toujours excitant de se rendre sur un plateau d’animation. À chaque fois il est rempli d’émotions et a presque les larmes aux yeux en voyant la qualité et la beauté des modèles. Même en ayant vu un film d’animation, c’est toujours plus fort de  visiter les lieux de tournage et voir à quel point ça nous renvoie aux origines du cinéma où tout était fait à la main et bien présent sur les plateaux de tournage. C’est très beau de voir comment un animateur donne vie à un objet et c’est aussi choquant d’une certaine façon. Burton encourage quiconque à visiter et à ressentir cette magie sur un plateau d’animation.

La troisième question porte sur l’avis personnel de Burton vis-à-vis de ses propres films, duquel en est-il le plus fier et celui qui lui est le plus personnel. Pour lui, les films sont comme des enfants et on ne peut pas dire qu’on en aime un plus que d’autre ou qu’on en déteste un en particulier. Edward Scissorhands est probablement le film le plus personnel d’une certaine façon mais il essaye toujours de faire les choses de façon personnelle, même si c’est un projet que les studios lui présentent. Étant une personne qui ne parle pas beaucoup, il doit toujours trouver un moyen de s’approprier les idées et de les ressentir pour ensuite en rediscuter avec l’équipe de tournage. Même si les choses ne marchent pas aussi bien que prévues, c’est une partie de sa vie et de lui-même qu’il met dans ses films donc ça reste toujours important à ses yeux.

Ed Wood, qui a aussi été énoncé par Burton mais de manière quasi subliminale en tant que film autobiographique, a été repris par Matthieu Orléan et mis en parallèle avec Edward Scissorhands, comme deux films très personnels certes mais aussi bien poétiques que satiriques vis-à-vis de l’Amérique. Alors qu’Edward Scissorhands s’attaque à la vie de banlieue pavillonnaire, Ed Wood critique le système Hollywoodien, critique que l’on retrouve aussi dans Mars Attacks !

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À ce moment de la Master-Class, un petit problème technique est survenu et alors que Matthieu lui posait une question, Burton entendait la radio dans son oreillette. Tim Burton s’amuse en disant qu’il entre en communication avec une autre planète… Il en profite pour nous faire part de son aversion des nouvelles technologies qui, comme nous avons pu le voir, ne fonctionnent jamais. C’est bien pour ça qu’il préfère la stop-motion !

Un technicien vient sur le plateau, Tim Burton met les pieds sur la table et dit aux spectateurs de parler entre eux pendant quelques instants. Après une dernière communication dans l’oreillette en Chinois cette fois-ci, la Master-Class reprend.

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Matthieu Orléan parle alors du côté névrosé et torturé du personnage de Bruce Wayne que Burton a mit en avant dans Batman. C’est un film de plus de sa filmographie qui dresse un portrait satirique de l’Amérique, sans oublier que maintenant, il vit à Londres. Pour Burton, il y a une étrange dynamique dans le fait qu’il se sentait étranger dans son propre pays quand il était plus jeune, non par choix mais par la façon qu’avaient les gens de le traiter, et qu’il se sentait d’avantage chez lui dans les autres pays. Mais il aime être étranger car c’est comme cela qu’il se sent au fond de lui. Il se qualifie de névrosé et c’est peut être pour ça que ses personnages le sont aussi. Nous mettons toujours de notre personnalité dans quoi que nous fassions, que l’on soit bon ou mauvais, gentil ou méchant. C’est quelque chose de très important.

Pour en revenir à la partie satirique de ses films, Tim Burton dit que Mars Attacks ! avait été réalisé à une période bien précise où il sentait que le pays n’allait pas bien. L’idée de définir ce qui était normal ou pas n’était pas si évidente que ça à l’époque. Il se sentait comme un extra-terrestre car il était en contradiction avec ce qu’il lisait dans la presse et avec son propre pays. C’était une période étrange mais il ne s’est jamais vraiment sentit l’âme d’un critique ou d’un donneur de leçons. Pour lui les meilleurs films sont ceux qui sont ouverts à notre propre interprétation, qui nous laissent avoir notre propre opinion sur un sujet. Le pouvoir du cinéma est le même que celui des comtes et légendes car il est plus symbolique que littérale. C’est plus amusant de traiter les choses en dessous de la surface en laissant apparaître quelques phrases ou commentaires pour que les gens pensent par eux-mêmes. Il n’a jamais voulu être dogmatique ou ouvertement politique et critique envers la société Américaine. Le cinéma doit être comme un rêve que l’on essaye d’analyser tout en acceptant le fait qu’il puisse rester mystérieux.

Nouvelle question du public : quel est son opinion sur les films de Nick Park et Peter Lord, deux réalisateurs britanniques de films d’animations, très connus notamment grâce à Wallace & Gromit et Chicken Run. Tim Burton aime tous les réalisateurs qui font de l’animation image par image face aux studios qui veulent toujours plus de synthèse. Il précise que des choses magnifiques sont faites avec les images de synthèses mais il se souvient qu’il y a quelques années de cela, le producteur Jeffrey Katzenberg lui avait dit qu’il n’y avait plus de place pour l’animation traditionnelle. C’était une phrase horrible à entendre pour Burton car il y a tant d’animateurs talentueux aussi bien en images de synthèses qu’en stop-motion ou en dessin animé. Plus il y a de techniques différentes d’animation, mieux elle se porte. Tim Burton encourage chaque animateurs à continuer sur cette voie-là. Quand il était lui-même animateur chez Disney à la période la moins productive et créatrice possible dans l’histoire de l’animation, il a passé 8 ans à travailler sur The Fox & The Hound (Rox & Rouky), ce qui était un réel problème à l’époque. Heureusement depuis ce temps, l’animation a produit de belles choses grâce à des animateurs talentueux et il encourage l’animation sous toutes les formes qu’elle soit.

Une personne du public demande à Burton son avis sur le travail de Hayao Miyazaki, qu’elle considère comme son deuxième mentor avec Tim Burton et à quel moment il choisit de tourner un film en stop-motion ou en live. Pour lui, tous ses films sont clairement une réussite et Miyazaki un artiste accomplis. C’est un bon exemple d’animation traditionnelle qui est tellement magnifique que ça en devient une forme d’Art en elle-même. Pour ce qui est de la deuxième question, c’est un bon point qui est soulevé ici. À chaque fois que Burton reçoit un scénario, il imagine le meilleur moyen de le représenter, c’est-à-dire soit la prise de vue réelle, soit l’animation image par image. Pour lui, The Nightmare Before Christmas ne pouvait se faire sans la stop-motion. Les studios lui avaient proposer plusieurs formes d’animations et il a fallu presque 10 ans pour que le film soit fait de la manière dont Burton voulait. Le choix de la stop-motion plutôt que de l’image de synthèse ou de la prise de vue réelle est aussi important que celui du noir et blanc et de la couleur. Il est capitale de prendre du temps pour trouver quel médium ira le mieux à telle ou telle histoire. Ça a été le cas pour Frankenweenie auquel la stop-motion et le noir et blanc correspondaient parfaitement pour traduire ses émotions. Si on a assez de chance pour pouvoir choisir la bonne technique et les bons ingrédients pour faire un film, il est essentiel de prendre le temps pour se pencher sur ces questions là.

Sans être une question, quelqu’un a lancé le titre de Dark Shadows, ce auquel a répondu Tim Burton qu’il travaillait toujours dessus et qu’il ne devrait même pas être là car il y a encore beaucoup de choses à terminer. Rappelons que le film sortira le 9 mai prochain. Il est très excité par ce projet et y travaille tous les jours jusqu’à la fin mais c’est le genre de film qui mixe plusieurs éléments. Quand on lui demande si c’est une comédie ou un film d’horreur ou encore un drame, il ne sait pas quoi répondre car il n’est pas encore fini et qu’il travaille toujours dessus.

L’avant-dernière question est sur les super-héros. Une personne du public dit très justement que Tim Burton a réalisé le premier film de super-héros pour adultes alors que maintenant il en sort un toutes les semaines et demande si on le verra un jour retravailler sur ce genre de films et pourquoi pas sur son projet avorté Superman Lives lancé en 1996 et arrêté en 1998. Burton se souvient que c’était difficile à l’époque pour lui car beaucoup de monde pensaient l’adaptation trop sombre ou trop torturée alors que maintenant elle paraîtrait très lumineuse en comparaison. C’était intéressant de voir à quel point c’était dur à l’époque mais pour que le projet se fasse aujourd’hui, il faudrait le modifier et ne pas se contenter de ressortir le même costume avec les mêmes idées. L’esprit du film du Superman est plus sombre mais d’une certaine façon il faudrait un nouvel élément maintenant.

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Attention à la traduction de la vidéo ! Tim Burton parle bien du projet Superman Lives alors que le traducteur dans la version française, confond avec le film Batman !

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La même personne a posé une question sur le devenir du film Conversation With Vincent, projet abandonné de Burton sur ses conversations avec son acteur fétiche Vincent Price, malheureusement décédé avant la fin du tournage. Quelque chose a changé dans le monde du cinéma et Tim en a discuté avec plusieurs personnes qui ont eu le même problème que lui. Avant si vous montriez des vidéos ou des clips, les gens étaient ravis de les produire. Maintenant, ils demandent beaucoup d’argent uniquement pour les regarder et vous en donnent pour que vous placiez des produits dedans. Tout s’est inversé. C’est très fâcheux car maintenant ça doit passer par des avocats ou des banquiers et beaucoup de projets souffrent de ce problème là. Burton espère toujours inverser la donne d’un point de vue financier ou juridique afin de présenter ce projet inachevé sous formes de vidéos pour que tout le monde puisse le voir.

C’est la fin des questions du public, Matthieu Orléan remercie les trois personnes du MoMA qui se sont déplacées jusqu’ici et qui sont à l’origine de cette exposition dédiée à Tim Burton : Rajendra Roy, Ron Magliozzi et Jenny He.

Matthieu Orléan revient enfin sur la dernière question de la Master-Class, à savoir qu’est-ce que l’on ressent lorsqu’on prend du recul et que l’on voit toutes ses œuvres affichées dans un musée. Pour Matthieu, c’est seulement en voyant l’étendue des dessins qu’il a pu faire un lien directe et de manière très explicite dans toute l’œuvre de Tim Burton avec notamment des éléments récurrents comme la spirale, les têtes coupées, le motif de l’œil etc… Le plus inattendu pour Burton, c’était de retrouver les lettres de rejet de Disney dans cet exposition. Il ne sait pas lui-même où ils ont trouvé tous ces dessins mais c’est un travail tout à fait remarquable. Burton espère que cette exposition nous plaira !

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Il remercie enfin le public qui l’acclame et s’en va en bondissant du podium.

(Photo extraite du diaporama de la Cinémathèque)

Compte-rendu et traductions par Loïc, photos par Emeline.

Plus d’informations sur l’exposition sur le site de la Cinémathèque française.

La vidéo de la Master-Class est toujours visible sur le site de la Cinémathèque : en VF et en VO. Elle sera bientôt en téléchargement sur l’application iTunes U.