De la sexualité chez Burton ? Mais quelle idée ! Ce réalisateur/conteur si poétique serait donc intéressé par la chose ? Allons donc, soyons sérieux et passons à une analyse cinématographique et stylistique digne de ce nom !
A moins que…
Car oui, le thème de la sexualité est bien central dans l’œuvre de Burton. Mais, s’il semble si difficile à capter, c’est parce qu’il est profondément polymorphe. Il n’y a pas une vision unique de la sexualité chez le réalisateur, mais bien un panel coloré et tout en nuances.
Contrairement à bien d’autres thèmes chers au réalisateur, la manière la plus pertinente d’aborder la sexualité n’est donc pas d’adopter une démarche chronologique : assez étonnamment, il n’y a pas de rupture véritablement sensible dans l’œuvre en ce qui concerne son rapport à la sexualité.
Dès lors, la lecture que nous devons en faire sera plus de l’ordre du classement : c’est véritablement à une typologie de la sexualité dans le travail cinématographique de Tim Burton que nous nous livrons, tout en essayant d’en dégager à chaque fois origine et sens.
De l’absence totale de sexualité à une vision mature et tendre de la chose tout en passant par un rire adolescent profondément gras, détachez-vos ceintures, c’est dans une analyse complète de plus de trente ans de carrière que nous nous lançons ! Notre but n’est bien sûr pas d’être exhaustif mais de faire le panorama thématiquement le plus complet possible du sujet. Aussi, sans nul doute et sans que vous n’ayez à beaucoup vous creuser la tête, vous pourrez compléter ce tableau avec d’autres exemples que ceux offerts.
I. Une absence de sexe ?
Il faut faire face à une réalité, ce qui vient à l’esprit en premier lieu lorsque l’on dit dans la même phrase « sexualité » et « Tim Burton », c’est l’idée que, justement, il y aurait absence de sexe dans l’oeuvre du réalisateur. Il faut bien admettre que ceci repose sur une base réelle. Les personnages asexués sont légions chez Burton, et les relations de couple qui se construisent sont souvent sur des bases éthérées.
a) Des personnages asexués
Cas extrême, pensons au personnage de Pee Wee Herman dans Pee Wee’s Big Adventure : enfant dans un corps d’adulte, à l’apparence totalement asexuée, cet être étrange va même jusqu’à refuser toute idée de sexe en repoussant à plusieurs reprises les entreprises de Dotty. Ce même type de personnage d’enfant complètement étranger à toute chose sexuelle se retrouve de la même manière avec Willy Wonka dans Charlie et la Chocolaterie et semble constituer un archétype de l’imaginaire que l’on se fait du personnage burtonien. Le sexe serait alors une chose tout à fait étrangère, à laquelle on ne pense pas et qu’il s’agit par conséquent d’évacuer.
Pourtant, les choses se révèlent être plus complexes. Burton a certes construit un Pee Wee tout à fait asexué, mais il le pose en contre-point d’un Pee Wee héros fantasmé par les studios hollywoodiens, homme ultra-sexué dont le prototype de moto virilement enfourchée vient créer un prolongement assez explicite. La sexualité fait, dès Pee Wee’s Big Adventure son entrée ! Il s’agit certes là d’une sexualité critiquée au sein des poncifs hollywoodiens. D’ailleurs, Burton n’a jamais caché son peu d’admiration pour les scènes de sexe au cinéma :
« Sex scenes are usually pretty bad in movies. I’m trying to think of some that I liked, but none spring to mind. I don’t find porno movies that erotic, either. I don’t know why. Maybe it’s because people look better with their clothes on. I know I certainly do ! »
« Les scènes de sexe sont en général assez mauvaises dans les films. J’essaye de m’en remémorer une que j’aurais aimé, mais rien ne me vient à l’esprit. Je ne trouve pas non plus que les films porno soient érotiques. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être est-ce parce que l’apparence des gens est meilleure lorsqu’ils sont habillés. Je c’est que c’est certainement mon cas !1 »
La chose semble clairement posée, le cinéma et le sexe, ce n’est pas pour Tim Burton. D’autant que lorsqu’il doit se plier à l’exercice, sous contrainte des studios, le résultat n’est pas franchement palpitant : la scène de sexe entre Batman et Vicky Vale doit en laisser plus d’un de marbre, et que dire de l’inutile personnage d’humaine blonde très artificiellement introduite dans La Planète des Singes ?
Aussi Burton s’efforcerait-il de créer des personnages et des histoires où la sexualité n’a pas une importance majeure, voire où celle-ci est voilée.
Cas emblématique parmi tous, celui d’Edward dans Edward aux Mains d’Argent : être artificiel, non-achevé, toute sexualité lui est impossible. Même une approche de celle-ci, aussi lointaine soit-elle semble compliquée : en témoigne la superbe scène où Kim lui demande de la serrer des ses bras et où Edward répond son fameux « Je ne peux pas ». Tout est dit. D’aucuns y verraient presque une métaphore d’impuissance !
Pour autant, et sans aller aussi loin, soulignons que la scène ne s’arrête pas là : Kim parvient bien, avec une infinie tendresse, à aller au delà du handicap, à prendre Edward dans ses bras. Scène sexuelle ? N’allons pas trop vite en besogne. Mais scène révélatrice à plusieurs niveau. Tout d’abord, et très traditionnellement dans le cadre d’une analyse de l’œuvre de Burton, il faut voir là une ode à la tolérance et à l’acceptation de l’autre et de ses limites : de manière poétique et fort mature, Burton refuse toute fatalité et vient mettre la tendresse envers l’autre au centre de tout.
b) Une sexualité éthérée à la manière d’un conte idéel
C’est également cette tendresse dont la scène est particulièrement chargée qui nous intéresse ici : Burton semble aborder la sexualité de manière éthérée, éloignée de toute préoccupation charnelle (peut-on dès-lors encore vraiment parler de sexualité?).
Cette vision de la sexualité et du couple se retrouve dans de nombreux films : Kim et Edward dans Edward aux Mains d’Argent, Jack et Sally dans L’Étrange Noël de M. Jack, Ichabod et Kristina dans Sleepy Hollow, Victor et Victoria dans Les Noces Funèbres… Le corollaire quasi-obligatoire de ce couple sans sexualité, comme issu d’un conte de fée purgé de ses éléments subversifs, est la figure de la jeune fille blonde éthérée, comme issue d’un autre monde (Là encore, Kim, Katrina Van Tassel, Sandra Bloom dans Big Fish, Johanna dans Sweeney Todd, Alice dans Alice au Pays des Merveilles, Josette dans Dark Shadows…).
Burton semble fasciné par cette pureté qui se dégagerait d’un monde dépouillé de tout attrait charnel. La sensualité cède le pas à la pureté virginale et, lorsque conflit il y a entre ces demoiselles à la blondeur et à la blancheur immaculées, elles sont opposées à la figure de la femme brune ou rousse, pour le coup sexuellement marquée, et en conflit pour décrocher le cœur du héros (passons sur la vision « gentiment » sexiste de la chose!)2 : pensons ainsi à Joyce dans Edward aux Mains d’Argent, à Emily dans les Noces Funèbres ou à Angélique dans Dark Shadows. Et le mieux, c’est que, le plus souvent, c’est la pureté qui l’emporte ! Quelle vision semblant rejeter le sexe !
Il serait alors possible d’aller plus loin : Burton intègre du sexe dans ses films, mais lorsqu’il le fait, ce ne serait que pour le critiquer…
II. La critique de la perversion sexuelle : une dimension politique ?
Tout se révèle alors ! Car le sexe chez Burton semble être l’apanage des puissants, de ceux qui manipulent, des pervers qui cherchent à dominer leur petit monde, et ce quelqu’en soit l’échelle ! Dès lors, le sexe revêt des habits politiques, mais ces habits sont fort peu recommandables et sont indissolublement liés à des personnages négatifs.
a) De la critique d’une Amérique déviante…
L’archétype de ce type de personnage est celui du conseiller du président dans Mars Attacks !, Jerry Ross, incarné par Martin Short. Dans ce film qui se veut satire des déviances de l’Amérique toute puissante des années 90 (mais le constat est sans nul doute toujours valable), Jerry représente la composante sexuelle. Assoiffé de pouvoir, il l’est tout autant de sexe comme en témoignent ses visites récurrentes chez les prostituées. Notons que le sexe ici représenté est pure domination, utilisation de l’autre à des fins personnelles. Associé au pouvoir et à la richesse, le sexe chez Burton est profondément politique, outil de dénonciation de la perversité d’une Amérique déviante.
C’est cette perversité associée au pouvoir qui d’ailleurs va perdre Jerry et ce qu’il symbolise. Comme dans tout le film, l’Amérique se prend une vilaine fessée : le conseiller du président, dans un élan sexuel dénué de toute tendresse pense ramener chez lui une femme plantureuse, étrange et séduisante ? Il pense mettre le grappin sur elle en l’emmenant coucher dans la Maison Blanche, centre du pouvoir de l’État, non, allons-y carrément, mondial voire solaire ? Il espère la dominer au travers du luxe et de la débauche matérielle ? Pouvoir, sexe et argent, tout est là, ne tombez-pas dans le panneau ! Ou plutôt… Vous connaissez la suite : le retournement de situation, entre le grotesque, le grand-guignol et le véritablement politique ! Tu couches, tu meurs, telle une règle de bon slasher conservateur, la sentence s’applique ! MST ? Non, femme fatale, si l’on peut parler ainsi !
Dans un discours à la fois politique et rigolard, Burton détruit un symbole négatif de cette Amérique. « Ah », semble-t-il clamer, « tu t’es bien faite baiser ! »
D’autant que ce rapport entre pouvoir et sexe se retrouve à plusieurs reprises dans l’œuvre de Burton : le sexe est utilisé politiquement comme outil de domination, voire d’asservissement de l’autre. Pensons ainsi à l’utilisation du sexe dans une optique de manipulation des hommes par Lady Van Tassel dans Sleepy Hollow. Tout n’est que tromperie, faux semblants et utilisation de l’autre grâce à l’usage bien fait de son corps.
b)… à la violente domination de l’autre.
Plus fort encore, le sexe semble être une perversion profonde de l’homme de pouvoir. Le cas le plus emblématique de la filmographie burtonienne est sans doute celui du Juge Turpin dans Sweeney Todd. Homme de pouvoir, il est profondément habité par la sexualité, qui semble être au cœur de toutes ses passions. Tout la construction du personnage est tournée autour de cette thématique sexuelle : décors de sa maison, chanson (Pretty Women est claire), sa seule préoccupation réelle semble être la domination, par une voie ou une autre, de la femme. Collectionneur, il cherche avant tout à posséder. Quitte à enfermer Johanna dans sa chambre pour la reluquer au travers d’un judas judicieusement placé derrière un nu orientalisant et langoureux. Voire à violer Lucy en réunion, au milieu d’une assemblée on ne peut plus explicite. D’ailleurs, Turpin lui-même ne porte-t-il pas un masque fort peu équivoque ? Le juge fond sur ses proies comme un rapace, en bon prédateur sexuel qu’il est. Et Sweeney Tood, écœuré, de conclure : « We all deserve to die. Nous méritons tous de mourir. » Face à une telle bestialité, la conclusion de Sondheim puis de Burton est sans appel.
Sexualité, domination et possession semblent dès lors irrémédiablement liées chez Burton. Quel est l’élément dans Batman, le Défi qui pousse Pingouin en politique ? La perspective de ramener au lit de jolies Demoiselles bien sûr ! Pourquoi Joyce, dans Edward aux Mains d’Argent cherche-t-elle à séduire Edward ? Parce que cette nymphomane associe sexe et possession, perversion et domination : il s’agit de collectionner les hommes, de les avoir tous, surtout s’ils sont au centre de l’attention du quartier, véritable microcosme constituant son seul univers envisagé. La même constatation peut-être faite sur Angélique Bouchard dans Dark Shadows, rien de très nouveau sous le soleil burtonien.
Triste constat donc par Burton : le sexe, c’est le pouvoir, c’est politique, c’est l’utilisation de l’autre pour sa jouissance seule. Pour autant, peut-on dire que le réalisateur rejette ainsi en bloc toute chose sexuelle ? Ne soyons pas si simplistes et monolithiques !
III. Le rire adolescent pour exorciser le sexe.
Parce qu’au fond, pour Burton, le sexe, ce n’est pas forcément quelque chose d’aussi sérieux et grave. Non, Burton n’est pas un puritain pour qui le sexe doit soit être caché soit diabolisé. On peut également en rire.
Il y a toutefois dans ce rire comme un arrière-goût de gêne, vous savez, celle qui se cache derrière les blagues graveleuses que l’on faisait adolescent et qui ne sont drôles que parce qu’elles parlent d’interdit. L’enfant rit lorsque l’on dit « pipi » ou « caca », de la même manière, l’adolescent caricaturé rit à toute évocation de ce qui est au dessous de la ceinture. Burton est parfois semblable à cet adolescent.
Finalement, ceci ne vient pas dédire un certain puritanisme déjà évoqué. On rit des frasques sexuelles et de l’exagération de Beetlejuice parce c’est vulgaire, c’est gentiment provocateur et tout semble si simple. Il faut dire que le personnage est là aussi tout entièrement construit dans une orientation sexuelle, mais cette fois-ci, le profondément grotesque fait son apparition. Alors nous avons le droit aux mains aux fesses, aux insinuations grivoises et au bordel de service. Alors, oui, ça ne vole pas très haut, mais c’est drôle, parce qu’au fond, nous avons tous ce petit côté adolescent rigolard au rire gras dès que l’on s’approche un peu trop de la chose !
Ces blagues potaches font beaucoup rire Burton qui nous en ressert de manière régulière. La scène de sexe de Dark Shadows sur un fond de musique de Barry White semble également participer à cette mise à distance par l’humour : quitte à parler de sexe, autant que ce soit drôle et fortement exagéré. Sinon, la gêne s’installe, et, c’est bien connu, là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir !
Burton serait donc cet adolescent découvrant la chose, à la fois voyeur, comme ses martiens, et rigolard, incapable de prendre tout cela véritablement au sérieux. Quel portrait dresse-t-on alors jusqu’ici du réalisateur ! Coincé, puritain, adolescent gêné et au rire gras. Vraiment, Burton a-t-il tant que ça un problème avec le sexe ?
IV. Fascination et libération.
Vous vous en doutez, si la question est posée c’est qu’en réalité les choses sont un petit peu plus complexes que cela ! Car la vision que le réalisateur nous propose des choses sexuelles ne se limite pas à la critique ou au rire. Il provoque également chez lui une vraie fascination. Mais nous sommes chez Burton, ne vous attendez pas à une langoureuse scène de sexe se terminant par une cigarette et un vodka-martini. Ce qu’il aime, lui, c’est l’étrange et le surnaturel, rien de bien neuf. Quoi d’étonnant alors que sa vision du sexe soit contaminée par le fantastique, l’original, pour ne pas dire une forme de perversion tout à fait attirante ?
Nous l’avons déjà dit, la perversion chez Burton est intimement liée au pouvoir, à la politique, dans tout ce qu’ils ont de plus négatifs. De fait, les choses doivent être nuancées. Un exemple est à ce titre éclairant : celui de Catwoman, dans Batman, le Défi.
“Life is a bitch, and so am I”, son slogan la définit tout à fait, la composante sexuelle est posée. Tout de cuir vêtue, à tendance fortement sado-masochiste, Catwoman est la figure féminine dominatrice et prédatrice par excellence. Là où Selina Kyle était la secrétaire (pardon, assistante de direction) ingénue, Catwoman est une femme nouvelle, comme déconstruite puis reconstruite (car c’est là le fond même de son costume couturé de partout) pour devenir une forme voluptueuse, toute portée vers le lien charnel.
La comparaison des scènes où Catwoman est avec Batman avec celles où Selina est avec Bruce Wayne est saisissante: nous sommes là face à deux types de femmes, encore que la Selina d’après la transformation ait gardé quelques traces de ce qu’elle est véritablement devenue: Catwoman. Batman, à l’inverse, sait se révéler sensuel en tant que Bruce Wayne, mais, en tant que justicier masqué, plus aucune émotion n’affleure, il devient froid, comme peut l’être son masque.
Il y a une véritable fascination de la part de Burton pour le personnage de Catwoman qu’il n’hésite pas à amener très loin dans la caractérisation féministe. Car, de nouveau, le sexe devient ici politique. Mais, cette fois-ci, pour gagner des lettres de noblesses. Certes Catwoman est bestiale, brutale, nous montre un sexe basé sur la domination voire le sado-masochisme. Mais il s’agit surtout d’un sexe révélateur d’une lutte sociale, celle de l’émancipation féminine d’une tutelle masculine représentée non seulement par l’infâme Max Shreck, mais aussi par la figure protectrice de Batman : “Tu leur facilite les choses, n’est-ce pas ? Toujours à attendre qu’un certain Batman vienne à ton secours3 ” dit-elle à une femme qui la remercie de l’avoir sauvée d’une agression (masculine) dans la rue.
Catwoman utilise la sensualité et le sexe pour renverser la domination, pour que les secrétaires (pardon, assistantes de direction) ne se limitent plus à préparer un excellent café, pour que leur patrons ne soient plus l’objet du fantasme qui vous fait acheter le nouveau parfum Gotham Lady, pour que le parangon de la femme ne soit plus une blonde à forte poitrine pousseuse de bouton. Et le sexe est le meilleur moyen de renverser, littéralement, les choses. Les combats de Catwoman contre Batman sont ainsi fortement érotisés. Et devinez qui a le dessus ? Il ne s’agit pas de combattre les hommes, bien sûr, mais leur domination aveugle. Catwoman l’anarchiste, Catwoman tout de cuir vêtue dit aux femmes et aux dominés : libérez-vous !
Oui, chez Burton, le sexe est affaire de domination. Oui il est politique. Mais il n’est pas nécessairement négatif et peut jouer un rôle émancipateur. Cela passe par la fascination pour l’animalité, par la lutte, bref, par tout autre chose qu’une normalité. Quoi de plus étonnant chez un réalisateur qui, plus que tout, aime les freaks en tout genre ? Burton, cinéaste coincé ? Allons donc, regardez le traitement fait à Catwoman ! Ce personnage et la manière dont il est construit vient détruire à lui seul toutes les idées que l’on avait pu échafauder jusqu’ici !
Pour autant, Burton nous montre jusqu’ici une sexualité qui serait bien loin de toute tendresse, de toute finesse. Le sexe est violent, il n’est pas affaire d’amour mais de lutte. Pour la dernière fois toutefois, je le dirai : regardez plus attentivement !
V. Vers une vision du sexe plus mature.
Rire, combat, perversion, domination, politique… Quelle violence ! Quelle noirceur. Allons donc. Burton ne saurait-être tendre qu’en esquivant le sexe, comme nous l’avons évoqué dans la première partie ? Non, Burton sait aussi être plus adulte, plus mature. Seulement, il faut lui laisser la possibilité de se détacher de ses obsessions fantasmagorique pour l’emmener vers un peu de réalisme. Car c’est bien dans le cas de scènes toutes simples, quotidiennes, presque anodines pourrait-on dire, que Burton va chercher la véritable tendresse qu’il sait accorder à la sexualité.
Pensons ainsi à cette très belle scène de Big Fish où Edward Bloom, âgé et sachant sa mort proche, se retrouve avec sa femme, Sandra Bloom, dans la baignoire ? Celle-ci est une création de Burton lui-même qui l’a ajoutée très tardivement dans le scénario de manière à ce que les personnages d’Edward Bloom et de Sandra Bloom aient une scène marquante4 . Si celle-ci n’est pas à proprement parler sexuelle, elle est empreinte à la fois d’une tendresse et d’une sensualité telles qu’il est difficile de ne pas en parler ici.
Dans cet exemple, pas d’artifice, pas de message politique ou humoristique caché. Simplement et de manière très émouvante un homme et une femme qui se retrouvent ensemble pour ne faire plus qu’un tout, sans doute pour l’une des dernières fois. La sexualité est ici montrée ou tout juste suggérée mais de manière très tendre et naturelle, à mille lieues de ce qui a été décrit jusqu’ici.
Il nous faut également évoquer ici le cas d’Ed Wood. Celui-ci est particulièrement intéressant car il vient comme une sorte de contraste avec l’ensemble des figures burtoniennes. En un sens, il est le plus normal des monstres de la galerie du réalisateur. Monstre, assurément, aux yeux du grand public en tout cas. Son habitude de se travestir dénote un personnage décalé, que certains esprits puritains (bien représentés dans le film par le biais des Baptistes) n’hésiteraient pas à qualifier de pervers.
Et pourtant, où est sa perversion? Comme il le dit si bien lui même, Ed Wood “aime le sexe avec les femmes”. Normalité sur ce point. Homme on ne peut plus banal. Mais quand bien même! Il pourrait être attiré par les hommes comme l’est son ami Bunny Breckenridge (Bill Murray), qui précisément constitue une amplification du caractère d’Ed Wood en allant jusqu’à se faire changer de sexe, il ne serait un freak qu’aux yeux d’une société qui le refuse, et non pas porteur d’une perversion quelconque. Ed Wood et ses comparses, malgré leurs particularités sont au fond des personnages profondément humains, étonnants, certes, mais au fond, assez peu remarquables. Et c’est là ce qui en fait tout leur intérêt: le freak n’est freak au fond que parce qu’il est mis au ban de la société et non pas par une nature monstrueuse.
Revenons à ce titre sur la scène du train fantôme, où Ed Wood révèle à sa future compagne, Kathy O’Hara (Patricia Arquette), son goût pour le travestissement. Il s’agit à mon sens de l’une sinon de la plus belle scène de l’ensemble du cinéma burtonien. Profitant d’une panne du train, Ed Wood fait son annonce, celle-là même qui lui a valu sa rupture avec sa précédente compagne. Il attend avec anxiété la sentence, symbolisée par la guillotine, au dessus de leur tête. Celle-ci ne se fait pas attendre : « okay », tout simplement. En affirmant aimer le sexe avec les femmes, Ed Wood montre qu’il accepte sa compagne. Tolérance, celle-ci lui retourne la faveur.
Cette scène est immensément symbolique de ce qui structure à la base le cinéma burtonien : l’acceptation de l’autre, avec simplicité, sans annonces tonitruantes qui sonneraient faux. Ce « okay », énoncé par Kathy contient en lui toute l’acceptation de l’autre et de sa différence qui modèle la vision du monde développée par Burton. Et, fort logiquement, ceci vient également interférer le domaine de la sexualité. Burton, avec une maturité d’une justesse remarquable fait en une scène une synthèse parfaite de sa réelle vision du sexe : au fond, celui-ci est basé sur la tendresse et le partage avec l’autre. Et tant pis si cela n’est pas selon des conventions sociales.
C’est dans Beetlejuice et Mars Attacks!, ses deux films les plus orientés vers la comédie, que se trouvent les deux dénonciations les plus franches d’une perversion sexuelle qui ne réside pas dans l’anormalité, mais au contraire dans une banalité tout à fait étonnante. Catwoman, Ed Wood, ces personnages, aussi excentriques qu’ils puissent être, pervers parfois même dans le cas de Catwoman, ne sont pas critiqués. Burton s’en amuse, voire s’attendrit de leur image. Ce sont les personnages normaux, ou caricatures de la normalité qui sont rejetés. Encore une fois, et jusque dans sa vision de la sexualité, Burton ne peut s’empêcher d’exprimer son profond amour pour les freaks et ce qui ne va pas dans le sens des conventions sociales. Provocation? Peut-être. État d’esprit profondément ouvert et critique plus certainement.
- Tim Burton, interview à Esquire.com, 17-12-2007 [↩]
- LadyDandy, « Être une femme dans l’univers de Tim Burton », MadMoiZelle.com, 09-06-2013 [↩]
- Batman Returns, 41′ [↩]
- Salisbury Mark, Burton on Burton, Londres, Faber and Faber Limited, 2006, p. 206 [↩]