Voici notre compte-rendu de la première mondiale du concert Danny Elfman’s Music from the Films of Tim Burton qui a eu lieu le lundi 7 octobre 2013 au Royal Albert Hall de Londres en présence de Danny Elfman, Helena Bonham Carter et Tim Burton.
Bonne lecture !
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Il est de notoriété publique qu’un Art se vaut par lui-même, qu’il soit visuel ou auditif, il est de bon ton de l’apprécier pour ce qu’il est, dans sa simplicité primaire. Toutefois, si deux Arts à fortiori contraires se donnent allègrement la main, il est parfois des petits miracles qui se créent par pure magie découlant de leur collaboration. L’emploi de la musique de Danny Elfman sur les films de Tim Burton est de ces instants de magie sans cesse renouvelés depuis presque trente ans qui n’ont eu de cesse que de mettre tout le monde d’accord : l’un apportant son soutien à l’univers de l’autre.
Aussi, après le raz de marée de succès qu’a rencontré Tim Burton suite à une actualité sans cesse croissante ces deux dernières années via une exposition plus accentuée de sa personne et de multiples rencontres avec ses fans, il était grand temps, ô combien grand temps, que son véritable double, sa part Saturnéenne, Danny Elfman, soit lui aussi mis à l’honneur.
Et ce n’est dans un lieu pas moins prestigieux que la salle du Royal Albert Hall de Londres – où s’est entre autre produit Bernard Hermann son idole de toujours – que les musiques de notre rouquin favori ont pris littéralement vie grâce à la maestria d’un orchestre philharmonique entièrement dédié à son univers pour cette soirée à nulle autre pareille.
Soirée que nous, la Tim Team, ne pouvions décemment pas rater tant Danny Elfman est un personnage public rare.
Car, oui, Danny Elfman était bien présent ce soir là. Et pas qu’un peu !
Nous sommes tous éparpillés dans cette salle mythique, en balcon, en orchestre, en tandem, en trio, contemplant au passage certains spectateurs venus déguisés pour l’occasion : une Lydia par-ci, un Beetlejuice par là. Nous sommes à Londres, après tout, l’une des villes les plus magiques et décomplexées du monde. Nous ne serons d’ailleurs pas les seuls étrangers (et Français) à avoir fait le déplacement afin de profiter de ce que le programme nous promet comme étant un tour complet et exhaustif de la collaboration Elfman/ Burton.
Sur les quatre dates britanniques de ce spectacle (dont c’est ce soir la première), ce sera le prestigieux orchestre de la BBC, conduit par l’Américain John Mauceri (qui a déjà collaboré avec Danny Elfman sur son opéra Serenada Skizophrana) qui nous emmène dans le monde de Tim Burton.
Si l’arrivée de l’orchestre se fait discrètement (on sent une tension légèrement palpable dans le public, anxieux et émerveillé par avance), l’arrivée du premier violon et de Monsieur Mauceri, tout souriant, enflamme un public déjà impatient que l’on démarre sur le Charlie and the Chocolate Factory promis par le programme.
Et ce n’est ni plus ni moins qu’une merveilleuse arpège de thérémine jouée live par une véritable joueuse de cet emblématique instrument fait d’ondes et de mouvements précis des doigts, que nous sommes emportés sur le main theme du film daté de 2005, avec Johnny Depp et Freddie Highmore. L’écran géant qui surplombe la salle nous inonde d’un merveilleux montage fait de chaque film sur lesquels Tim Burton et Dany Elfman ont collaborés. Chaque note et mélopée propre au thème de ce film accompagne des images emblématiques d’Edward Bloom, de Batman ou de Sparky le chien. L’émotion est déjà à son comble et on sait qu’une chose très spéciale se passe, qu’on ne reverra pas de sitôt.
Après une introduction si maitrisée, que songer de l’arrivée du thème de Pee-Wee’s Big Adventure, énergique et fou, auquel se prête à merveille le jeu de cordes des violonistes, tandis que l’intro du film – où Pee-Wee se rêve champion du tour de France – nous est montrée ? Un bonheur pour tout fan qui se respecte. La Suite jouée à cet instant est d’ailleurs à peu de choses prêt celle publiée sur le Music for a Darkened Theater, compilation des meilleures musiques de Danny Elfman.
Mais c’est le titre suivant qui va commencer à mettre le feu aux poudres, avec l’arrivée sur l’écran titre du mot qu’on ne doit pas répéter trois fois : Beetlejuice. Une légère rumeur emplit la salle, très vite changée en rires quand le chœur masculin de Maida Vales entame, comme sur l’introduction du film un « Day-Oh » lyrique à souhait et que les choeurs féminins pousse des cris fantomatiques et morbides pour accompagner la fanfare de ce thème culte à la bonhomie contagieuse, Monsieur Mauceri sautillant à chaque nouvelle mesure sans jamais la perdre ! Une bonne dizaine de minutes est consacrée au second film de Tim Burton, qui aura marqué l’union de leur deux talents de façon indélébile, créant certainement un peu avant l’heure le terme « Burtonesque » dans nos oreilles, mille fois copié, jamais égalé.
Et c’est sur ces premières entrefaites, que le public ne contient plus son admiration et applaudi à tout rompre cette première partie de concert. Monsieur Mauceri salue avec respect l’assemblée d’admirateurs, accompagné de son premier violon. Et ça n’ira pas en s’amenuisant, chaque pièce sera désormais applaudie de façon quasi répétée et chirurgicale. Si le thème de Sleepy Hollow est une merveille, sa courte prestation ne sera pas des plus marquantes, malgré la présence du jeune soprano Harry Jackson, rare mais juste au sein de l’impressionnant chœur de ce soir.
De plus, on sent un habillage désormais plus sage sur l’écran qui dès cet instant ne projettera pratiquement plus que des dessins et croquis de Tim Burton, pour la plupart inédits. Un choix judicieux qui empêche le spectateur de se focaliser sur l’écran et qui en même temps, présente l’essence même des films de Burton c’est-à-dire ses propres croquis préparatoires, de façon sobre et sans artifices, le tout montrant une force créatrice forte, propice à l’imagination.
L’un des plus beaux moments de bravoure de la soirée : le thème de Mars Attacks !. Thémérine à fond, chœur surpuissant et samples éléctroniques se marient à merveille et donne envie de conquérir le monde encore une fois. Une salve d’applaudissement sera consacrée à Lydia Kavina, joueuse de thérémine ici mise à forte contribution et en lumière s’il vous plait.
Le thème le plus discret de la soirée est lancé via les premières images de Big Fish. Ce sont des banjos et des guitares acoustiques qui viendront émerveiller le public dans cette bande originale étonnante de variété, dont le titre « Underwater » est jouée plus calmement et langoureusement que sur la bande originale classique.
Mais c’est là juste un quasi-entracte avant la fin de la première partie du show, car voici venir les premières notes du dytpique Batman/ Batman Returns, pour lequel le public applaudira en amont de l’affichage du nom du film sur l’écran (ce qu’il faut d’ailleurs à tout prix éviter dans un concert classique mais personne ne saurait rester de marbre face aux Batman de Burton et de son thème ). Epiques, puissants et parfois langoureux, tous les plus beaux thèmes de ces films sont passés en revue et sublimés les uns après les autres. Le finale remplit l’immense salle du Royal Albert Hall de frissons retentissants. Rien de tel pour mettre l’auditoire à genoux avant une seconde partie riche en surprises et émotions.
En effet, l’entracte de vingt minutes passé, c’est avec le controversé Planet of the Apes que démarre cette seconde moitié, morceau le plus décevant du show bien que ce main theme soit dantesque dans sa version disque. En effet, le sample électronique ne semble pas être assez calé aux autres instruments, très orientés sur les percussions, qui ont tendance à noyer légèrement l’ensemble. Il fallait essayer, et pas de raison que cet excellent thème ne soit pas de la partie ce soir. Il aurait juste eu besoin d’un brin de raffinement.
Et en terme de raffinement, la suite de Corpse Bride est précisément un émerveillement. Mais aussi un bref pincement au cœur. Si Danny Elfman devait être présent ce soir, ne se serait-il pas donné la peine de venir chanter un titre de ce si sympathique film d’animation ? Ne serait-ce que la chanson du Bonejangle, Remains of the Day ? Le titre nous passe un peu sous le nez malgré le très beau Piano Duet, car nous espérons tous voir l’homme de la soirée apparaître. Le doute m’accapare légèrement. Et si Danny Elfman ne venait pas et que nous nous étions monté tout un film à ce propos ?
Je n’y songe plus trop en plongeant dans le thème du récent Dark Shadows. À film mitigé, on obtient tout de même une magnifique bande originale et surtout un prologue sans pareil, entre tragédie et gothique. Une très belle pièce de la soirée.
Fonctionnant comme un quasi dyptique avec Dark Shadows, Frankenweenie (produit en même temps en 2012) se lance et là l’émotion parle d’elle-même. Synthèse de leur collaboration, ce merveilleux moment de musique et d’émotion laisse bon nombre de spectateurs, dont votre serviteur, en proie à une légère crise de larmes surtout en revoyant la tête de Sparky sur l’écran géant.
Et des larmes, nous ne sommes pas prêt d’arrêter d’en verser…
Un écran titre annonce The Nightmare Before Christmas alors que les premières notes de cors nous emmènent à Halloween Town et dans les méandres des tourments de Jack Skellington, le roi des citrouilles.
Et le roi des citrouilles, il est bien là !
Danny Elfman entre sur scène par la droite, sobre, calme, dans un beau costume-cravate, sous un tonnerre d’applaudissements, de cris et une standing ovation qui donne la tremblote. Pas le temps de s’en remettre que, prônant sur le devant de la scène avec des gestes de théâtre calculés, Danny Elfman entame « Jack’s Lament », première perle de son bébé ; sa plus belle œuvre, qui sera ce soir jouée en quasi intégralité pendant près d’une demie heure de chansons et de musique. Difficile de ne pas tomber dans le cliché en disant que pour nous, à l’instar d’Edward Bloom dans Big Fish, le temps s’est littéralement arrêté.
« What’s This », accompagnée de la vidéo complète de cette séquence du film, sonne comme un véritable karaoké, de même que « Jack’s Obsession », où Danny Elfman semble enfin se détendre et apprécier le couronnement de son œuvre. Loin d’être distant, il applaudit le public, les musiciens, sourit d’un petit rictus de fierté et d’émerveillement alors qu’il peut enfin donner littéralement vie à cette pièce maitresse de sa carrière devant un parterre acquis à sa cause. L’orchestre ne cesse jamais de jouer, Danny Elfman semblant religieusement écouter chaque thème et note résonnant dans l’enceinte du Royal Albert Hall.
Si nous sommes rassurés de la présence du compositeur, si peu habitué à se montrer en public, nous sommes en proie à une légère crise de furie dans la salle, quand surgit soudain des coulisses Helena Bonham Carter, sublimement maquillée et habillée, pour venir nous interpréter Sally’s Song. Disons que ce n’est pas Catherine O’Hara mais que c’est suffisamment gigantesque et inattendu pour en rester religieusement muet d’admiration. Le public, encore une fois, est mortellement enthousiaste. Helena Bonham Carter offre une prestation habitée et parfaite, elle qui demande au public « un brin d’indulgence car je n’ai pas fait ça depuis un petit moment ». Ni une, ni deux, nous indulgeons, alors qu’elle quitte finalement la scène après avoir fait la bise à Dany Elfman, comme une petite poupée de chiffon, pour laisser ce dernier entamer la très belle « Poor Jack », sur lequel il butera d’une mesure d’avance, ce qui le fera manifestement bien rire. Mais bien que la perfection ne soit pas de ce monde, elle l’est manifestement pour Danny Elfman, qui sous une autre standing ovation semble briller de fierté comme un sapin de noël humain, serrant les poings face au public comme un champion de tennis venant de gagner une coupe miraculeuse. « Merci à vous tous de m’offrir ce soir ce qui est désormais le plus beau moment de toute ma vie ».
Le fier gentleman roux de 60 printemps nous laisse ainsi, pantois d’admiration face à une œuvre bien remplie, que l’orchestre achève sur une longue mélopée consacrée à Edward Scissorhands, applaudie comme le chef d’œuvre qu’il se doit d’être, et finalement, par Alice in Wonderland. C’est bien simple, dans la folie du moment, ça donnerait presque envie de revoir le film, dont l’écran titre est d’ailleurs généreusement applaudi lui aussi.
Mais à grand concert, grand rappel. Et c’est Danny Elfman, de retour sur scène après avoir applaudi et remercié l’orchestre entier, qui entame la « Oogie Boogie’s Song », initialement chantée par Ken Page. À cette occasion, un Danny Elfman impérial toise Monsieur Mauceri comme s’il s’agissait du Père Noël en personne. Et ça ne rate pas, lorsqu’il est temps pour lui de parler, le chef d’orchestre enfile rapidement un beau bonnet rouge et sans lâcher sa baguette, répond avec énergie à son interlocuteur chantant et narcisse. Danny Elfman est lâché : « What are you going to do ? », « I’m going to do the best I can », et de trémousser sa silhouette avec des gestes d’épouvantail dégingandé, comme s’il avait toute sa vie durant voulu être Jack Skellington lui même. Un passage rock ‘n roll, blues, applaudi par un public comblé, qui se lève une ultime fois pour remercier aussi chaleureusement que le permet la résistance d’une main frappant sur l’autre.
Une nuée d’ampoules envahit les paumes car, alors que Danny Elfman est rejoint par Helena Bonham Carter, ce dernier se tourne vers le côté gauche de la scène et fait mine de tirer sur une corde invisible. Une corde qui faitapparaître, telle un diable en boîte , Tim Burton lui même en haut d’un escalier qu’il dévale d’un air pressé et prudent dans le style « pardon-poussez-vous-excusez-moi-bonsoir-madame ». Le trio infernal est là. Devant son véritable double, Tim Burton prend la parole : « Tout ça est magnifique, Danny. Tu le mérites. Et je tiens à dire à Helena qu’elle a été remarquable, ce soir ».
En compagnie de Monsieur Mauceri, la petite troupe reçoit un beau panier garni de fleurs et salue une foule envoyée au septième ciel, venue contempler l’œuvre d’un homme et qui s’est retrouvé subitement devant une brochette inattendue qui nous a tant fait rêver. Difficile de décrire toutes les émotions qui nous passent à travers la tête à ce moment là. On essaye de se rendre compte de ce qui vient de se passer là sous nos yeux et dans nos oreilles, un moment magique qu’on ne reverra pas de sitôt.
Une soirée définitivement pas comme les autres. Qu’on aurait eu bien tort de rater, au sein de l’une des plus belles villes du monde. Voir Danny Elfman en personne, entendre sa musique s’enorgueillir d’une prestation symphonique et dans une salle mythique est un souvenir aussi précieux qu’il le laisse paraître. Et c’est avec modestie et un vrai sens du privilège que nous nous souviendrons y avoir été.
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Le programme :
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Compte-rendu par Arnold, relecture par Loïc et Simon.