Alors que le “Titan des Effets Spéciaux” Ray Harryhausen vient de nous quitter ce mois-ci, nous avons eu l’opportunité de poser quelques questions à Dominique Vidal (page IMDb), superviseur d’effets spéciaux et directeur technique chez BUF, illustre studio d’effets spéciaux français ayant travaillé sur The Matrix, Avatar, Harry Potter, The Dark Knight, Fight Club et bien d’autres encore…
Tim-Burton.net vous propose maintenant de découvrir ce que cache la petite porte des effets-spéciaux, pas si petite que ça !
***
Tout d’abord quel est votre parcours? Pourquoi avoir choisi les effets spéciaux? Est-ce à cause d’un film en particulier ou de personnes qui vous ont inspiré étant petit?
C’est un parcours un peu particulier qui m’a mené vers ce métier, qui n’existait pratiquement pas quand j’ai du choisir une orientation après le Bac. Après des études scientifiques (DEUG de sciences puis maîtrise de mathématiques pures), je me suis réorienté vers des études d’Art, que je pratiquais depuis longtemps en autodidacte par le dessin et la peinture (maîtrise et DEA d’Art et technologie de l’image). Je suis rentré à BUF compagnie en 1996 et j’y travaille depuis. Ce choix de faire des effets spéciaux est venu naturellement, fusion de mes deux passions artistiques et techniques, et bien sûr de l’amour du cinéma depuis tout jeune. Je fais, il est vrai, partie de cette génération qui a vu La Guerre des Étoiles au cinéma à sa sortie, ça laisse des traces.
Quelle est votre part de créativité dans votre travail vis-à-vis d’une demande d’une production? À quelle phase de préparation d’un film êtes vous appelé? Participez-vous aux recherches 2D et artworks?
Je suis souvent impliqué assez tôt dans les productions, essentiellement pour des recherches technico-artistiques de nouveaux effets 3D (pour moi les deux sont liés), comme par exemple l’effet de bullet time avec motion blur (flou de mouvement) de Fight Club (extrait du making of), ou encore l’effet de sonar de Batman dans The Dark Knight (extrait du making of). En fait mon travail de recherche intervient quand les recherches 2D atteignent leurs limites à exprimer visuellement un effet, faute de mouvement. Cette phase de recherche ne concerne évidement pas les effets classiques de matte painting, de design de personnage ou de monstre.
Est-ce plus facile de travailler avec un storyboard détaillé et des indications précises plutôt que d’avoir une certaine liberté de réalisation?
L’un n’empêche pas l’autre, mais il est plus rassurant de démarrer sur un storyboard, même s’il est rarement respecté tel quel jusqu’au bout, le montage venant chambouler cette bande dessinée en divisant, réunissant ou supprimant des plans. Dans le cas d’effets visuels classiques, nous partons la plupart du temps de plans filmés sur lesquels nous rajoutons nos effets. Il arrive que certains plans doivent être “full 3D”, laissant une plus grande liberté sur l’animation, le mouvement de caméra et la durée.
Vous avez été le superviseur technique sur Dark Shadows, l’un des derniers films de Tim Burton…
Eddy Richard et Christophe Dupuis ont été les superviseurs des effets spéciaux sur ce film et moi j’ai fait la supervision technique ainsi qu’un plan complexe, celui où Eva Green déchire avec de multiples mains la chemise du héros.
Ce film est d’autant plus symbolique en matière d’effets spéciaux qu’il arrive juste après le succès mondial d’Alice In Wonderland dont on sait que le tournage sur fond vert a été un vrai calvaire pour le réalisateur. Cette absence de décors se ressent dans Dark Shadows puisque beaucoup de décors ont été construit, soit échelle 1 soit en maquette pour éviter le plus possible d’avoir recourt aux effets spéciaux.
C’est vrai que les décors étaient magnifiques. Il ne faut pas pour autant en conclure que c’est un film allégé en effets spéciaux ! Presque tous les plans sont retouchés dans ce genre de production, au minimum à l’étalonnage, pour balancer les couleurs et contrastes, voire rééclairer localement certaines portions de l’image à mettre en valeur, et le plus souvent pour effacer diverses imperfections (bouton d’acné, lissage de peau, etc.).
Les marqueurs sur le visage servent à enregistrer les mouvements de tête par rapport à la caméra
Aviez-vous eu des indications quant au rendu final de certains effets qui passent parfois inaperçu, comme le visage rajeuni d’Alice Cooper par exemple?
Le rajeunissement d’Alice Cooper n’était pas difficile en terme de design, une fois que l’on s’était mis d’accord sur quelques photos du chanteur jeune à prendre comme références. Par contre, techniquement à faire c’est une autre chanson : il a fallu refaire en 3D le chanteur et le rotoscoper sur tous les plans (animation du personnage 3D collant au comédien filmé) pour effectuer un “morphing 3D”, afin de remonter les chairs ramollies par l’âge (cou, poches sous les yeux, graisse sous les bras, etc.) et réduire les cartilages qui poussent toute la vie (oreilles et nez). C’était donc beaucoup de travail pour un résultat qui ne se voulait pas du tout spectaculaire, d’autant plus qu’avec le maquillage hard rock des années 70, Alice Cooper faisait déjà plus vieux à l’époque.
Les étapes de rajeunissement d’Alice Cooper
Au contraire, Tim Burton trouvait que le décor du bureau d’Eva Green, après la scène d’amour, n’était pas assez dévasté, et il nous a fallu rajouter plein de griffures sur les murs et autres débris éparses.
Concernant le plan que j’ai eu à réaliser, Johnny Depp (ou peut-être sa doublure) avait été filmé de dos allongé sur Eva Green, celle-ci lui griffant le dos amoureusement. Plusieurs passes supplémentaires avaient été tournées, l’actrice effectuant différentes griffures distinctes. J’ai fait ensuite diverses propositions de chorégraphies pour combiner les différentes mains, les réanimant en 2D. Au fur et à mesure des tests, Tim Burton m’a fait rajouter d’autres mains pour accroître l’effet de folie sexuelle voulue par le plan. Il ne restait plus qu’à reconstruire en 3D le dos de l’acteur ainsi que sa chemise et créer et animer les différents plis et déchirures, partie du travail la plus compliquée techniquement. Nous avons été jusqu’à acheter une chemise que nous avons soigneusement lacérée, pour étudier le comportement et l’aspect des fibres lors de déchirures et diverses tensions, pour au final rajouter des fils qui pendouillent après le passage des ongles de la belle.
Le challenge d’un superviseur d’effets spéciaux est-il dans la réalisation de plans très chargés en effets comme dans Speed Racer ou plutôt dans des plans plus subtils et discrets?
Il est clair qu’il y a des effets plus ingrats à faire que d’autres, surtout quand ils doivent être invisibles. Mais ils ne sont pas moins passionnants à créer. Par exemple pour Fight Club et ensuite pour Panic Room (extrait du making of), David Fincher nous avait demandé de créer des mouvements de caméra impossibles à réaliser, passant dans des endroits très exigus (le trou créé par une balle dans un pare-brise), ou traversant de grands espaces à haute vitesse, pour former des plans séquence capables de raconter son histoire. Seule une méthode mixant environnement full 3D photo-réaliste et raccords à des éléments filmés pouvait parvenir à cet effet. Assez novateurs à cette époque, ce type d’effet qui amène une vraie plus-value à l’écriture cinématographique se sont depuis vulgarisés.
Plan composite pour Fight Club (making of en images)
Tim Burton a démarré en tant qu’animateur 2D et stop-motion chez Disney. Ses premiers films se servent d’ailleurs de la stop-motion comme effets-spéciaux mais c’est à partir de Mars Attacks ! que l’ordinateur va remplacer l’animation traditionnelle image par image dans sa filmographie. Là où Michel Gondry reste fidèle à la stop-motion, Tim Burton n’hésite pas à utiliser les effets numériques. Quelle est votre vision de l’évolution de ces techniques qui prennent parfois le pas sur le scénario d’un film?
Je n’ai pas l’impression que les effets spéciaux numériques nuisent à la qualité d’un scénario, sauf quand ils sont mal faits. Le scénario est écrit bien avant le tournage et la post-production. Sans doute pour les gros blockbusters américains, les producteurs se disent qu’il n’est pas nécessaire de pousser le scénario du moment qu’on a un résultat spectaculaire. Maintenant, il y a une réelle nostalgie d’une partie du public adulte pour la qualité plastique des animations en stop-motion, de par leur “non fluidité” plus ou moins assumée, qui donne un coté “fait main”. Concernant Michel Gondry, avec qui nous avons beaucoup travaillé, il faut savoir qu’il a toujours utilisé beaucoup d’effets numériques, mais avec une volonté de les cacher, essayant de recréer artificiellement ces petits défauts qui font le charme des animations traditionnelles.
Image extraite de Super 8 de JJ Abrams 2011 avec un effet de flare bleu
Pour en revenir à l’influence des effets numériques sur l’aspect final des films, il est vrai qu’il existe dans le cinéma des tendances qui visent à utiliser certains “gimmicks” visuels que l’on finit par retrouver un peu partout. En ce moment, la grande mode consiste à rajouter des “flares” un peu partout en dépit du bon sens (reflets des lampes dans les lentilles de la caméra qui créent des lignes de lumière). Dire que ce genre d’artefact était détestés des chefs opérateurs il y a quelques années. Cela vient sans doute d’une réaction à la transition aux caméras numériques, visant à réintroduire ces défauts pour amplifier maladroitement le photo-réalisme (réalisme obtenu par captation photographique). Comme toute mode, j’imagine que celle-ci est vouée à disparaitre.
Grâce à l’avènement du DVD et maintenant du Blu-ray, tout le monde peut désormais découvrir l’envers du décor et voir toutes les phases de création d’un film, du storyboard aux effets-spéciaux. Est-ce que vous sentez une évolution des mentalités vis-à-vis de ces métiers auparavant méconnus du grand public?
Si notre métier est plus mis en valeur dans les making off des films, la place des créateurs d’effets spéciaux est toujours reléguée en toute fin de générique, derrière la cantinière de tournage ou la doublure lumière de la Star, n’ayant travaillée que quelques semaines sur le film tandis que l’équipe 3D aura passé dix heures par jours pendant plus d’un an sur la post-production. Toujours est-il qu’il est flatteur d’avoir une petite trace de notre implication, même si nous savons rester des travailleurs de l’ombre. Le magicien doit-il toujours expliquer ses secrets ?
Quel est votre plan ou film préféré sur lequel vous avez travaillé?
C’est un choix difficile sur la durée de ma carrière, et mes meilleurs souvenirs ne sont pas toujours associés au plans finaux, plus ou moins spectaculaires, mais surtout au processus créatif et technique qui les a vu naître. J’affectionne, par exemple, le plan de Matrix Revolutions où j’avais explosé le visage de Mr Smith dans un rendu de flamme très particulier. Il y eu aussi toute la phase de recherche qui m’a permit de créer notre gestionnaire de foule pour le film Alexander d’Oliver Stone, afin d’animer une armée de 500 000 soldats pour la bataille de Gaugamela. Ou encore le court métrage que j’ai réalisé pour la Fondation Cartier dans le cadre d’une exposition sur les mathématiques scenographiée par David Lynch (bande-annonce de l’exposition).
Image extraite de The Matrix Revolutions des frères Wachowski 2003 (extrait du making of)
Quel effet spécial auriez vous aimé faire?
J’ai souvenir d’une très belle séquence faite par ILM pour Pirate des Caraïbes 3 où l’on voyait des galets se transformer en crabes, le tout évoluant en une vague pour déplacer un bateau. L’élégance du rendu, la richesse et la complexité des animations misent en oeuvre m’avais fait dire : ça, je me serais régalé a le faire !
Image extraite de Pirates des Caraïbes : Jusqu’au Bout du Monde de Gore Verbinski 2007 (extrait du film)
***
Un grand merci à Dominique Vidal pour avoir répondu à nos questions ainsi qu’à Marc-Antoine sans qui cette interview n’aurait pas pu se faire.