C’est de 9h30 à 21h dans la salle Henri Langlois que s’est déroulé la première partie du colloque autour de Tim Burton à la Cinémathèque Française dans le cadre de son exposition, la deuxième partie se déroulant le vendredi 20 avril à l’Institut National d’Histoire de l’Art.
La journée s’est divisée en trois parties avec le matin, 4 intervenants discutants de l’enfance en famille et des origines de Tim Burton influencé par les contes alors que l’après midi, une table ronde s’est déroulée sur le thème de “l’effet Burton” suivi de deux interventions où la peur devient un jeu. Pour clôturer cette journée, une projection de courts-métrages d’écoles d’animations a été organisée en présence du plus proche collaborateur de Burton : Rick Heinrichs.
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9h30 : Introduction
Pour commencer, une présentation de l’exposition est faite pour nous rappeler les enjeux de cette journée. En effet, Paris est la seule ville Européenne à accueillir l’exposition du MoMA, ce qui peut expliquer en partie l’engouement qu’elle suscite mais pas uniquement. Alors que le MoMA s’était avant tout focalisé sur Burton “artiste”, la Cinémathèque a tout de même voulu garder l’aspect cinéaste de Burton notamment en montrant d’avantages de pièces de ses films dans l’exposition et en organisant des conférences autour de ses œuvres cinématographiques.
Ici, nous allons essayer de comprendre pourquoi il existe un tel engouement du public et quel impact ont ses films sur les spectateurs, ce qu’on appellera la sémio-pragmatique, approche assez peu répandue qui s’applique pourtant à merveille au cinéma de Tim Burton.
Cette introduction se termine par une liste de visuels, de croquis et de photographies de Tim Burton montrant la diversité de ses thèmes abordés dans toute sa filmographie et qui sont la base du renouvellement de l’iconographie enfantine initiée par le réalisateur lui-même.
10h – 11h30 : Aux origines : contes, dessins et illustrations
Dans cette première partie, François Fièvre et Bénédicte Percheron vont développer différentes pistes de recherches pour trouver de nouvelles références de l’inspiration de Tim Burton dans la littérature enfantine, lui qui a pourtant avoué avoir très peu lu dans sa jeunesse.
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François Fièvre va développer 4 points qui sont résumés dans l’intitulé de son exposé : “Dans l’ombre échevelée de la forêt des contes absurdes : Tim Burton et la tradition du livre-illustré pour la jeunesse”
– Les livres illustrés pour la jeunesse comportent une recherche aussi bien graphique que littéraire, éléments que nous allons retrouver chez Tim Burton. Nous pouvons déjà citer ses plus célèbres influences comme Edward Gorey ou Charles Addams en littérature dont le style décalé et macabre est très proche de celui du réalisateur ou encore des films comme Le Cabinet du Docteur Caligari et Nosferatu où l’ombre menaçante de ses “monstres” renvoient directement à celles de ses propres films. Mais pour découvrir d’autres références cachées, il va falloir faire une recherche en profondeur et revenir à l’origine des Arts Plastiques. En effet, c’est Pline l’Ancien qui va être l’instigateur de l’Art des ombres en détourant sur le sol, l’ombre projetée de la tête de ses amis. C’est le début du dessin par l’ombre. Bien après, c’est Arthur Rackham qui va illustrer les contes des Frères Grimm par des silhouettes noires menaçantes comme L’Oie d’Or ou La Belle aux Bois Dormant :
Ici, les silhouettes révèlent la nature menaçante des personnages et des environnements.
François Fièvre met en corrélation ces illustrations avec le générique de Sleepy Hollow où les formes se découpent en ombre dans la nuit et avec une autre séquence où le jeune Killian est émerveillé par les ombres en négatif projetées sur les murs de sa chambre comme une inversion de l’Art des silhouettes :
Autre référence citée, Lotte Reiniger qui a réalisé en 1926 Les Aventures du prince Ahmed, le premier long-métrage d’animation où toutes les silhouettes des personnages ont été découpées dans du papier noir. Même chez Dr Seuss, qui est une influence connue et reconnue de Tim Burton notamment pour The Nightmare Before Christmas, nous retrouvons des monstres en silhouettes noires ou blanches sur fond uni dans le recueil The Shape of Me and Other Stuff paru en 1973. Et enfin dernière référence “possible”, Tomi Ungerer et ses 3 Brigands de 1962.
– Le deuxième thème abordé est celui de la coiffure qui est justement échevelée chez Tim Burton. La première référence est celle qui allie Edward au groupe The Cure, Siouxsie Sioux ou encore à Burton lui-même, représentant ainsi l’enfant sale et méchant, en un mot, le rebelle comme le personnage dessiné par Honoré Daumier en 1836 dans Les Aventures de Jean-Paul Choppart de Louis Desnoyers.
Une autre référence moins connue et pourtant aussi évidente dans la littérature enfantine est celui de Pierre l’Ébouriffé dessiné par Heinrich Hoffmann, enfant sauvage qui refuse de se faire couper les cheveux et les ongles.
C’est le début à l’époque, de la littérature éducative basée sur la punition et la négation. Les illustrations montrent ce qu’il ne faut pas faire pour ne pas se faire punir violemment. Edward Gorey met aussi en avant cette violence en littérature avec Gashlycrumb Tinies de 1963 où des enfants meurent de façon tragique. Dessins que l’on peut facilement rapprocher avec ceux de The Melancholy Death of Oyster Boy and Other Stories de Tim Burton. De même que Bételgeuse, le Cavalier Sans Tête ou Sweeney Todd pourraient être ces enfants qui n’auraient pas été punis, devenus alors de véritables diables empreints d’une colère sans limites.
– 3ème thème abordé par François : la forêt des contes. Dans la plupart des contes, les personnages prennent la fuite et trouvent refuge dans la forêt, lieux effrayant mais aussi cachette infranchissable (cf La Belle au Bois Dormant et Blanche Neige et les 7 Nains de Walt Disney).
Outre les gravures de la forêt du Petit Poucet, imposante et menaçante, Gustave Doré a dessiné pour L’Enfer de Dante, des arbres anthropomorphiques tout comme Arthur Rackham pour Little Brother & Little Sister ou encore Walt Disney dans Blanche Neige et les 7 Nains.
La forêt est le thème central dans Sleepy Hollow, autant pour la forêt du Ponant elle-même mais aussi pour ce qu’elle y renferme tel l’arbre des morts qui est un passage entre deux mondes, ou l’antre de la sorcière. Dans Beetlejuice également, la forêt sert de transition entre le monde réel et celui de la maquette lors du générique de début.
– Dernier point énoncé par François Fièvre, l’absurde et le non-sens. La première référence citée est Edward Lear qui a publié en 1846 A Book of Nonsens. C’est une succession de dessins accompagnés d’une phrase qui n’ont absolument aucun sens. Contrairement à Edward Gorey, les personnages mis en scène ne sont pas placés dans un décors mais sur fond blanc neutre, tout comme les personnages de The Melancholy Death of Oyster Boy & Other Stories. La seule différence est que Burton utilise de la couleur, technique trop coûteuse à l’époque de Gorey et Lear.
Lewis Carroll est également une grande référence dans la littérature enfantine pour ce qui est de l’imaginaire grotesque de la caricature. Bien que Tim Burton ne se dise pas l’héritier d’une quelconque littérature, il va pourtant adapter deux romans célèbres de la littérature enfantine : Charlie & The Chocolate Factory de Roald Dahl et Alice In Wonderland de Lewis Carroll. Alors que pour le premier, ses personnages vont s’éloigner des illustrations du livre d’origine faites par Quentin Blake (Willy Wonka n’est plus un personnage âgé et farfelu), Burton va pour le deuxième, revenir aux gravures d’origines de John Tenniel pour créer ses propres personnages :
François Fièvre termine en disant que Burton fait de meilleurs films quand il se détache de l’originale et arrive à imposer sa propre vision.
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Toujours à travers les contes, Bénédicte Percheron va développer la notion d’anthropomorphisme et la réécriture des contes par Tim Burton. Tout d’abord, elle va faire une brève histoire de la caricature en parlant des toutes premières représentations de personnages, d’abord en mosaïques, puis en peintures et en sculptures, ornant les cathédrales d’imageries et de scènes d’horreur pour faire peur aux fidèles. En 1797, Étienne Robertson va créer le spectacle Fantasmagorie qui consiste à projeter sur les murs des fantômes ou des squelettes grâce à la “lanterne magique” afin d’effrayer les spectateurs. Ces spectacles font sensation et au fur et à mesure, les contes de fées vont être illustrés à l’opéra et au cinéma en débutant par George Méliès.
Après les squelettes et les fantômes, ce sont les animaux qui vont prendre l’apparence des humains notamment sur les gravures de Jean-jacques Grandville ou dans les films de Ladislas Starewitch qui va, quant à lui, illustrer des contes de fées en stop-motion avec des marionnettes représentant des animaux dont Ray Harryhausen et Tim Burton seront les dignes héritiers. En 1925 Walt Disney va aussi mettre en scène des animaux anthropomorphiques avec Alice Comedies même si le personnage d’Alice reste encore au centre de l’histoire.
Nous retrouverons cet anthropomorphisme chez Beetlejuice lorsqu’il se transforme en serpent pour faire peur aux Deetz, serpent qui représente en psychanalyse la peur du pénis et donc ici l’influence que peut avoir Bételgeuse sur la jeune Lydia. D’ailleurs le sexe dans les films de Tim Burton, est abordé à la manière des contes, par des symboles et des allusions mais jamais de façon directe, contrairement à la violence qui elle, est montrée frontalement. On retrouve également du zoomorphisme dans Planet of the Apes bien sûr et avec les squelettes de The Nightmare Before Christmas et Corpse Bride.
Ensuite, Bénédicte va aborder la réécriture des contes en général ainsi que chez Burton. La réécriture d’un conte est la création d’un univers hybride influencé par diverses origines comme par exemple le film Blacula de 1973 car nous savons que Burton a été nourris par les films américains de série B qui mélangeaient allègrement les genres. Nous retrouvons cette hybridation dans The Nightmare Before Christmas où Noël se transforme en Halloween et vice-versa et où le personnage principale Jack Skellington est directement inspiré du Grinch de Dr Seuss à ceci près que le personnage de Burton a de bonnes intentions. Il transpose ainsi les contes dans l’Amérique traditionnelle, remplaçant la forêt hantée par la banlieue où l’horreur passe par l’ennui comme dans Edward Scissorhands.
Comme vu précédemment, Sleepy Hollow prend ses inspirations dans les contes illustrés de Jean-Jacques Grandville et Gustav Doré mais aussi dans la peinture avec la robe de Lady Van Tassel directement reprise du tableau d’Edward Brune-Jones : Sidonia Von Bork :
Tim Burton reprend la légende du Cavalier Sans Tête en gardant le côté horrifique de l’histoire mais toujours en y ajoutant de l’humour comme dans son recueil de poèmes The Melancholy Death of Oyster Boy and Other Stories où la fin des personnages est toujours tragique et horrible dans la plus pure tradition des peurs enfantines consistant à craindre le fait de ne pas plaire à ses propres parents.
Tout au long de sa carrière Burton s’est nourrit des contes, de son premier court-métrage fait à l’âge de 13 ans The Island of Doctor Agor à Alice In Wonderland en passant par le mythe des extraterrestre dans Mars Attacks !, reprenant le personnage de Pickwick dessiné en 1890 par Joseph Clayton Clarke dans Batman Returns ou encore le mythe des freaks dans Big Fish.
Les films de Tim Burton sont un mélange des Arts et contribuent à désamorcer la peur.
11h30 – 13h00 : L’enfance en famille
Pour cette deuxième partie de la matinée, Florence Cheron nous parlera des scènes primitives chez Tim Burton en traitant deux films en particulier : Batman et Sleepy Hollow. Laurent Jullier quant à lui nous parlera de la difficulté de vivre en famille à travers la filmographie de Tim Burton.
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Florence Cheron va donc aborder le thème de la scène primitive en comparent deux personnages des films de Burton : Bruce Wayne et Ichabod Crane, tous deux sans parents et ayant subit un trauma dans leur jeunesse. Qu’est-ce qu’une scène primitive? C’est un passage à l’âge adulte par le déchirement, un déclencheur logique suite à un traumatisme enfantin et la recherche d’une vérité enfouie (cf Willy Wonka également).
Tim Burton invente toujours un passé à ses personnages mais il fait bien plus que de les évoquer, il va les mettre en scènes dans ses films sous forme de flash-back. Il créait donc une deuxième temporalité après celle de l’intrigue principale, comme une deuxième vie, un second souffle suite à un trauma (Catwoman, Pinguin, Bruce Wayne dans Batman Returns).
Florence nous passe les scènes primitives des deux films de Tim Burton, celle de Batman est en une seule partie alors que celle de Sleepy Hollow est découpée en 3 selon les souvenirs du personnage.
Dans la scène primitive de Bruce Wayne, le tueur est annoncé par son ombre, de même que le visage de Bruce jeune est caché par cette ombre. Ce flash-back est pour lui une remémoration alors que chez Ichabod, sa scène primitive est oubliée et contient des parties imaginées comme la silhouette du Cavalier Sans Tête à la place de son beau-père.
La scène primitive aide Bruce Wayne a découvrir l’identité du Joker et à tuer son propre créateur, premier signe d’autonomie vis-à-vis de cette scène qui a une réelle valeur initiatique car son souvenir d’enfance l’aide au présent. Pratiquement tous les personnages de Burton répondent à ce désirs de vengeance à la suite d’une scène primitive : Lady Van Tassel veut se venger de la mort de ses parents en réveillant le Cavalier Sans Tête, Catwoman veut se venger de sa propre mort par Max Shreck, le Pinguin veut se venger de l’abandon de ses parents, Benjamin Barker veut se venger du Juge Turpin en créant le personnage de Sweeney Todd etc…
Élément intéressant qui parcours les deux extraits, la présence du cinéma. Dans Batman, Bruce Wayne et ses parents sortent d’un cinéma où était projeté Zorro, autre personnage masqué alors que dans Sleepy Hollow, Lisa Marie qui joue la mère d’Ichabod, lui montre un thaumatrope, ancêtre du cinéma et de l’animation. Dans les deux cas, le cinéma est lié à un souvenirs antérieur au traumatisme, comme si il faisait parti d’une période agréable qui lui aurait été arraché. De plus, la cage et l’oiseau rouge du thaumatrope de Sleepy Hollow rappellent la vierge de fer dans laquelle est enfermée la mère du héros. Vierge de fer que l’on retrouve également dans Batman.
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Dernière partie qui conclue la matinée de ce premier colloque, Laurent Jullier : “Orphelins et têtes à claques : la difficulté de vivre en famille”.
Pour illustrer ses propos, Laurent Jullier a eu une démarche relativement contestable qui consistait à reprendre une citation d’Antoine De Baecque et de la contredire en essayant de faire une analyse de la famille à travers tous les films de Tim Burton, courts-métrages compris. Laurent Jullier est contre la notion d’auteurisme notamment dans les cours universitaires, lui-même étant de Nancy 2. Tout d’abord il va montrer en quoi Tim Burton pense son look et son côté artiste à travers ses chemises à rayures et sa coiffure qui est rebelle donc subversive. Ensuite, pour démontrer qu’Antoine De Baecque à tord de parler d’une unité familiale Américaine dans les films de Tim Burton, Laurent Jullier va toutes les énumérer, les classer et les analyser.
Dans la filmographie de Burton, il y a 45 familles même si aucune n’est présente dans Pee-Wee’s Big Adventure et Ed Wood. Dans ces 45 familles il y a :
- 8 orphelins
- 10 familles monoparentales
- 12 familles recomposées ou “pseudo-familles”
- 16 familles nucléaires
Quelques notions sont abordées dont la plus intéressante est la transmission des valeurs par le doigt tendu comme dans Vincent ou Stainboy.
En bref, il y a tellement de familles différentes qu’on ne peut pas dire, selon Laurent Jullier, qu’il y ai de valeurs générales sur la famille dans les films de Tim Burton.
Il a ensuite enchainé sur la question de la morale dans les œuvres de Burton en s’appuyant sur des critiques d’internautes faites sur le site de l’IMDb concernant le film Charlie & The Chocolate Factory. La démarche est d’autant plus contestable qu’il n’a lu que 300 commentaires sur les 1 319 du site, se contredisant lui-même vis-à-vis de sa propre critique concernant la démarche d’Antoine De Baecque citée précédemment. Néanmoins, il en est venu à la conclusion que les films de Tim Burton n’avaient pas de moral à l’image des premiers contes pour enfant. Tim Burton montre des possibilités face à un problème donné sans pour autant dire si c’est la meilleure, ni même si le choix fonctionnera. Par exemple dans Edward Scissorhands, Bill va poser une question à Edward d’ordre morale sans donner lui-même la réponse.
À la fin de Charlie & The Chocolate Factory, Willy Wonka renoue les liens familiaux avec son père mais la finalité de leurs rapports n’est pas montrée ni même envisagée. Nous ne savons pas si ils se reparleront un jour ou non. Les films de Tim Burton ne sont en aucun cas moralisateurs.
14h30 – 16h : Table ronde : “l’Effet Burton”
Après la pause déjeuner, une table ronde est organisée avec 4 intervenants et deux modérateurs sur la question des horreurs enfantines et le fait que nous avons tous besoin d’avoir peur.
Les 4 invités sont :
- Albert Lemant, auteur-illustrateur d’œuvres destinées à la jeunesse (Les Ogres sont des cons, ABC de la trouille…)
- François Minadakis, professeur des écoles qui régulièrement, montre des films de Tim Burton à ses élèves
- Pierre Péju, professeur de philosophie et écrivain (La Petite Chartreuse, Le Monstrueux, Enfance Obscure…
- Michal Stora, psychologue et psychanalyste auteur de Les Écrans ça rend accro
Modérés par Bernard Benoliel et Bérénice Bonhomme.
La table ronde a commencé avec la projection d’un extrait de Big Fish, celui où le héros rencontre pour la première fois la sorcière et voit sa propre mort à travers l’œil de verre de celle-ci.
Cet extrait met en exergue l’intitulé du colloque “les horreurs enfantines” car on y voit des enfants parler de leurs peurs alors qu’un autre va les dépasser. Il y a cette peur/plaisir que nous ressentons quand nous voyons une porte entre-ouverte comme celle de la maison de la sorcière, nous avons envie de voir ce qu’il y a derrière tout en ayant peur de ce qu’il pourrait y avoir. L’enfant a besoin de cette peur/plaisir et des monstres. Comme l’explique Pierre Péju, les monstres sont toujours “super”: super-gros, super-grand, super-fort… Ils dépassent les limites, celles imposées par nos parents. Les monstres sont donc plus fort que nos propres parents et c’est ce qui rassure les enfants, le fait de ramener les parents à leur niveau face à un monstre. Les montres des enfants ne sont pas les mêmes que les monstres des adultes. Nous ne pouvons pas savoir, en tant qu’adulte, de quoi aura peur un enfant. L’inquiétude que pourrait avoir un parent, c’est lorsqu’un enfant n’a pas de peurs comme pourrait le montrer Edward Bloom dans l’extrait. Il prend du recule sur sa propre mort et l’accepte. Chose qu’un enfant ne fait pas réellement car il n’a pas conscience de sa propre mort. Il n’a pas peur de la mort elle-même mais de la disparition des gens qui l’entoure. Michael Stora explique que la vie est faite de plusieurs morts successives, le passage de l’enfance à l’adolescence est aussi en quelque sorte une mort car nous quittons une vie pour continuer dans une autre totalement différente.
Pierre Péju cite une anecdote concernant l’histoire de Noël et du Père Noël en mettant en parallèle les cadeaux offerts par ce-dernier avec les offrandes faites aux morts de peur qu’ils reviennent nous hanter de l’au-delà. Donner des cadeaux chaque année reviendrait à signifier la fin d’une période, d’une vie. C’est une façon de rire de la mort et de sa propre mort.
Il va également faire référence à un dessin de Vincent où le personnage est effrayé par sa propre ombre qui ne représente plus son corps.
Comme à l’adolescence, nous pouvons avoir peur de notre ombre, de notre reflet, de ce que nous renvoyons mais il faut accepter cette part de monstruosité qui est en nous.
Le noir/ombre équivaut au silence et à la peur. Les enfants ont peur d’être entouré par le silence des adultes comme Vincent est encerclé par l’incompréhension de sa mère et se retrouve donc seul dans sa chambre, sans pouvoir parler.
À ce moment du colloque, le court-métrage de Vincent est projeté dans son entièreté. Tout de suite après, Albert Lemant a précisé en rigolant que Vincent était tellement réussi que Tim Burton aurait pu s’arrêter là. Ce court-métrage est significatif dans le sens où le jeune Vincent Malloy veut devenir Vincent Price, acteur célèbre des films d’horreurs. C’est une façon pour lui de se venger des images et des canons de la beauté renvoyés par la télé ou les médias qui ne lui correspondent pas. Le seul moyen de combattre ces images, c’est d’en créer de nouvelles en étant acteur ou réalisateur, autrement dit redevenir acteur de soi comme dans un jeux-vidéos. Michael Stora a notamment travaillé sur la question des jeux-vidéos et c’est un très bon moyen de redevenir acteur d’une situation face à un public quelconque, parents ou amis, grâce à des personnages, des décors, une histoire etc…
Si la peur ne nous paralyse pas complètement, elle nous pousse à agir et à créer. Notre main devient alors l’outils de création ultime, que ce soit en dessin, en littérature ou dans un univers virtuel. C’est aussi le double de nous-même que nous pouvons percevoir sans l’aide d’un miroir. Les mains d’Edward Scissorhands sont autant créatrices que destructrices.
Enfin la table ronde se termine sur la projection des réactions des élèves de François Minadakis filmés après leur avoir montré Vincent en classe. La plupart des enfants comprennent la dualité du personnage de Vincent et l’identifient à Burton lui-même, ayant reconnu le physique de Vincent dans une photo de Tim Burton en couverture du Télérama. Certains disent que Vincent veut montrer aux autres la façon dont ils le percevaient, c’est-à-dire en tant que monstre. C’est aussi un moyen de s’exprimer et de créer, un enfant a même précisé que comme Vincent ne pouvait pas accoucher d’un enfant (étant donné que c’était un homme), il fallait bien qu’il créait quelque chose donc il a créé des monstres !
C’est sur ces témoignages touchants et éclairés que la table ronde se termine, laissant place aux deux derniers intervenants de la journée.
16h – 17h30 : Jouer à se faire peur
Marie-Camille Bouchindomme et Pascal Vimenet vont mettre en avant l’univers des films de Tim Burton emprunté à l’enfance.
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Marie-Camille Bouchindomme va donc parler de ces “effroyables joujoux” propres à Tim Burton à travers 5 de ses films : Beetlejuice, Batman Returns, Edward Scissorhands, The Nightmare Before Christmas et enfin Sleepy Hollow.
– Commençons par le jeu des angles de caméras qui donnent aux décors, un aspect maquette ou jouet. Comme tout le monde le sait, Beetlejuice commence sur le travelling d’une maquette de la maison des Maitlands. Le côté enfantin de la maquette saute tout de suite aux yeux alors que juste après, une araignée géante vient grimper sur cette maquette, instaurant la surprise puisque le début du plan commençait en prise de vue réelle mais aussi la peur liée aux films d’horreurs classiques où des insectes géants attaquaient les humains. La maison des Maitlands fait aussi référence au tableau d’Edward Hopper ou à la maison de Psycho, autre classique du genre tout à fait effroyable. Dès le premier plan du film, Tim Burton instaure donc cette double lecture du jeu et de la terreur.
Dans ses autres films, Burton va toujours filmer la banlieue, aussi effroyable soit-elle pour lui, vue du ciel, comme si nous étions un enfant face à une maquette ou à des jouets.
Les vues en plongée accentuent les perspectives et rendent les objets plus gros qu’ils n’y paraissent (voir la tête du chat de la Shreck Tower). Vu du ciel, tout paraît ridicule et amusant.
– Dans Edward Scissorhands, Edward se retrouve dans la chambre de Kim, encerclé de couleurs, de joie de vivre et de peluches, monde dans lequel il ne peut à priori s’intégrer, son costume noir faisant tout de suite “tâche” dans le décors.
Dans l’extrait où il perce le “water bed” de Kim, c’est pourtant une peluche tout aussi rapiécée que lui qui va l’aider à boucher le trou du matelas.
– Dans The Nightmare Before Christmas, de nombreux jouets détournés sont présents. Tout commence avec la séquence de dissection des objets ramenés par Jack Skellington de Christmas Town. Dans cette séquence, tout y passe : les peluches, les jouets, les sucres d’orge, les poupées, les jeux d’origami etc… Plus tard, ces jouets se verront transformés par les habitants d’Halloween Town pour les envoyer directement aux enfants du monde. Ils se transforment alors en effroyables joujoux à l’heure de Noël. Période qui est aussi traitée dans Batman Returns et Edward Scissorhands, car avec la fête d’Halloween, ce sont deux périodes que Burton appréciait tout particulièrement étant petit à Burbank, l’occasion d’être quelqu’un d’autre et de faire des blagues à ses voisins.
– Dans Batman Returns, Catwoman comme le Pinguin ont un rapport spécial avec les jouets. La première les détruit dans une rage créatrice comme pour faire une croix sur son passé niais et naïf. Elle va peindre à la bombe noir ses peluches, sa maison de poupée, ses vêtements comme elle va se revêtir elle-même d’une deuxième peau sombre et noire. Le Pinguin quant à lui, va se servir de jouets comme d’instruments de tortures, un parapluie devenant une arme à feux, des énormes cadeaux devenants des bombes à retardements, des hommes déguisés en clowns devenant ses sbires et enfin un énorme canard motorisé devenant sa Batmobile à lui l’aidant à se déplacer dans les égouts de Gotham City. Sans compter son repère tout entier qui n’est autre qu’une attraction laissée à l’abandon dans un parc pour enfants. C’est comme si depuis son abandon par ses propres parents, le Pinguin n’aurait jamais grandit et s’entourerait toujours des mêmes jouets, transformés tout de même pour assouvir sa vengeance d’adulte. Le canard motorisé se retrouvant dès le début du film accroché à sa cage de bébé :
– Enfin dans Sleepy Hollow comme vu précédemment, c’est le thaumatrope qui est un moyen pour Ichabod Crane de se souvenir de son enfance et de sa mère mais qui est aussi l’outils révélateur de la supercherie de Lady Van Tassel, il a donc aussi cette double interprétation de jouet rassurant mais pouvant aussi dénoncer, élément transitoir entre le monde des enfants et des adultes.
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Dernier intervenant de la journée, Pascal Vimenet va nous parler des “monstres salvateurs”. Grand amateur d’animation traditionnelle, Pascal Vimenet a toujours cherché une alternative à l’identité trop lisse à son goût des studios Disney, leader incontestable de l’animation. C’est en découvrant le court-métrage de Tim Burton Vincent dans un festival qu’il va enfin trouver son bonheur. En effet, les studios Disney n’utilisaient que la bi-dimension, l’anthropomorphisme et les formes rondes. Vincent sera tout le contraire, faisant référence à des films d’horreurs comme Dr Jekyll & Mister Hyde quand Vincent Malloy se transforme en Vincent Price dans son laboratoire. Ou encore au film de Vincent Price House of Wax quand le jeune garçon plonge sa tante dans un bain de cire avec un rire sarcastique. Ses expériences sur Abercrombie rappellent à la fois Frankenstein mais aussi Jack l’Éventreur rodant la nuit dans un Londres des plus brumeux. Il va aussi opposer le jeu des enfants de l’époque avec la mort elle-même quand Vincent préfère lire Edgar Allan Poe plutôt que Go Jane Go, passage où l’on est en droit de se demander ce qui est le plus “normal” des deux à un certain âge. Lire Edgard Allan Poe pousse Vincent à créer, c’est donc un passe-temps salvateur pour lui.
S’en suit une liste de passages de films Burtoniens où les monstres sont détournés :
- Oogie Boogie dans The Nightmare Before Christmas est aussi effrayant qu’attirant lorsqu’il se met à chanter comme dans un cabaret. Une mise à distance se fait alors par le son.
- La relation entre une créature et son créateur avec Sally et Dr Finkelstein tourne en dérision lorsque cette-dernière tente de l’empoisonner avec une soupe.
- Lock, Shock et Barrel forment le trio des devinettes et l’horreur de leurs plans diaboliques est adoucie par la musique.
- La séquence de la mort d’Oogie Boogie est directement inspiré d’un poème d’Edgar Allan Poe alors que le personnage sans peau rappel les tableaux d’Arcimboldo.
- À la fin de Sleepy Hollow, le Cavalier Sans Tête retrouve son vrai visage en faisant une grimace digne d’un Tex Avery, les yeux exorbités et la langue tirée :
- Edward fait un monstre découpé dans un arbre donc ce-dernier apparaît comme moins effrayant. Le monstre qu’il est lui-même n’effrayant pourtant pas les enfants à l’école lorsqu’il fait une démonstration. Au contraire, ils l’applaudissent et lui, sourit, comme si il ne pouvait se sentir bien qu’entouré de ces enfants.
- Dans une séquence de Charlie & The Chocolate Factory, Veruca Salt se fait attaquer par une armée d’écureuils effrayants, rongeurs qui paraissent pourtant à l’habitude comme des créatures douces et gentilles.
- Enfin dans Alice In Wonderland, les crapauds apparaissent comme des créatures fragiles et victimes d’une Reine sanguinaire.
Pascal Vimenet dénonce tout de même dans ce dernier film de Tim Burton, une certaine “monstruosité numérique” et termine son exposé sur l’adaptation de l’œuvre de Lewis Carroll par le réalisateur Tchèque Jan Švankmajer en 1988 où les personnages sont animés en stop-motion avec des objets rapiécés comme des peluches, des os, des poupées, des bouts de tissu etc… et qui se rapprocherait à ses yeux, d’avantage de l’esprit de Tim Burton que l’adaptation qu’il en a fait lui-même.
19h30 – 21h : projections de courts-métrages d’animations des écoles
C’est une salle pleine à craquée d’étudiants que nous retrouvons pour clôturer cette journée de colloque sur Tim Burton. En partenariat avec la Cinémathèque, certaines écoles d’animations ont travaillé d’abord sur le thème de l’expressionnisme Allemand de Métropolis à Tim Burton, pour terminer finalement sur celui des horreurs enfantines. C’est donc 9 écoles qui proposent ici leur vision des horreurs enfantines à travers des photos, des vidéos, des animations créés par les étudiants dans le cadre scolaire :
- ENSAD
- École Estienne
- Lycée Corvisart à Paris
- Ateliers des Beaux Arts de la ville de Paris
- Université Paris Ouest Nanterre
- École Georges Méliès à Orly
- ESAAT à Roubaix
- Lycée Léonard de Vinci à Montaigu
- EMCA à Angoulême
Élément important lors de cette projection, c’est la présence du plus proche collaborateur de Tim Burton depuis Vincent : Rick Heinrichs, présent à Paris à l’occasion de l’expérience-cinéma qui se déroulera 2 jours plus tard à la Cinémathèque Française.
Chaque enseignant est venu introduire les travaux de leurs élèves respectifs, remettant les œuvres dans leur contexte. Celles-ci sont aussi inégales que leur contexte de réalisation. Certains élèves ont travaillé plusieurs moins sur une vidéo alors que d’autres n’y ont consacré que 24h (ce qui n’était pas forcément signe de travail inintéressant ou inabouti au contraire),certains élèves sont des lycéens alors que d’autres sont en deuxième année d’école spécialisée. Certaines vidéos sont faites en groupe (maximum 9 personnes) alors que d’autres sont le résultat d’une seule personne. Tout ça pour dire qu’il y avait de tout même si, il faut bien le reconnaître, l’École Georges Méliès était un peu au dessus des autres, aussi bien dans la réalisation que dans la réflexion sur la question des horreurs enfantines, détails que même Rick Heinrichs a précisé en les encouragent vivement à la fin de cette projection.
Vous pouvez retrouver certaines de ces réalisations sur la page Dailymotion du concours sur Tim Burton. Les autres seront normalement visibles sur le site de la Cinémathèque très prochainement.
Rendez-vous vendredi 20 avril pour la deuxième partie du colloque à l’INHA. Plus d’informations sur la programmation de la Cinémathèque Française sur le site officiel.
Photos et compte-rendu par Loïc.