Voici le compte-rendu de la conférence “Motion-capture, performance-capture, effets spéciaux : des origines à Tim Burton” qui s’est déroulée le vendredi 16 mars 2012 à 14h30 dans la salle Henri Langlois à la Cinémathèque Française. Elle fut animée par Gilles Penso qui finalise actuellement un documentaire franco-britannique consacré à la légende des effets spéciaux : Ray Harryhausen. Du King Kong de 1933 au King Kong de 2005, Gilles Penso a retracé l’histoire de la motion-capture jusqu’aux Aventures de Tintin de Steven Spielberg avec divers extraits de films, d’interviews et de making-of.
Bonne lecture !
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Avant que la conférence ne commence, nous avons salué la mémoire d’Alain Derobe, l’un des plus grands stéréographes français, disparu le 12 mars 2012 et qui avait travaillé très récemment avec Wim Wenders sur le film Pina (2011).
Gilles Penso a été invité afin de nous dévoiler quelques secrets des effets spéciaux du cinéma et notamment la motion-capture et performance-capture, deux techniques très en vogue depuis l’avènement du numérique.
Le cœur de cette conférence est la création de personnages et de comédiens virtuels, autrement dit des “avatars”, thématique abordée dès les débuts du cinéma. Pour l’illustrer, Gilles a décidé de commencer par le film King Kong et son adaptation de 1933 par Merian Cooper et Ernest Schoedsack. Dès les années 30, les scénarios de certains films nécessitent le remplacement des acteurs réels par des clones ou des doubles. Gilles précise bien que les effets spéciaux ne sont pas créés pour le plaisir d’être créés mais bien comme étant une réponse face à un problème posé par le scénario ou l’histoire d’un film. Certains effets spéciaux ont été inventé par hasard, notamment grâce à Méliès mais la plupart du temps, ils sont là pour servir une histoire.
King Kong est un film intéressant car il est composé de nombreuses séquences où des humains côtoient des créatures géantes, animées images par images. Comment faire pour mélanger à l’écran ces différents personnages ? Toutes les techniques existantes à l’époque ont été utilisées :
- pour les gros plans, l’actrice Fay Wray joue dans une fausse main mécanique géante.
- pour les plans larges, la rétro-projection était utilisée pour faire apparaître l’actrice et Kong en même temps en utilisant des caches/contre-caches.
Dans le premier extrait, l’actrice est remplacée par un avatar pour les plans larges car les autres techniques ne suffisaient pas. L’œil est attiré par le combat entre les monstres mais nous pouvons voir que l’actrice en haut à gauche est remplacée par une petite figurine animée image par image, comme les deux autres créatures.
(extrait 1 à partir de 01:24)
C’est le début de ce qui donnera plus tard l’envie de créer des clones virtuels. Même si de nos jours, notre œil est assez aguerri pour distinguer le vrai du faux, la magie de la scène fait que nous nous concentrons sur les monstres, tout en ayant conscience de cette présence féminine dans le plan sans pour autant voir que ce n’est pas la vraie actrice.
Passons maintenant du film en prises de vues réelles au film d’animation. Deux styles maintenant très proches mais qui étaient à l’époque, bien séparés l’un de l’autre. Dans le monde de l’animation, c’est le processus inverse qui s’est produit. Au lieu de créer des avatar pour remplacer les acteurs réels, nous avons utilisé de réelles performances d’acteurs pour aider l’animation de certains personnages animés. C’est en 1915 que l’ancêtre de la motion-capture sera breveté par Dave et Max Fleischer, les pères de Betty Boop et Popeye, que nous appellerons la “rotoscopie”. Le principe de cette technique consiste, lorsque nous avons besoin d’une scène de combat à l’épée dans un film d’animation traditionnel par exemple, à filmer deux escrimeurs, à récupérer ces photogrammes, à les agrandir, à les passer sous une table lumineuse et à demander à des animateurs de les repasser sur des celluloïds en suivant leurs contours. Cela permet d’avoir des personnages de dessin-animé avec des mouvements réalistes. Procédé assez simple mais ayant comme résultat des mouvements d’acteurs adaptés à des personnages de dessins-animés.
Cette technique a beaucoup été utilisée dans les premiers longs métrages de Walt Disney comme Blanche Neige & Les 7 Nains (1937) ou encore La Belle au Bois Dormant (1959) dont Gilles a décidé de nous montrer deux extraits volontairement sans action spectaculaire pour que nous puissions nous concentrer uniquement sur le mouvement des personnages.
(extrait 2 à 13:14 et 14:20)
Ce procédé a été longtemps utilisé et était le seul moyen à l’époque de rendre les personnages le plus réaliste possible. Certains films, comme la version de Ralph Bakshi de 1978 du Seigneur des Anneaux, ont été réalisé entièrement avec cette technique de rotoscopie.
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Passons maintenant de l’image analogique à l’image virtuelle. L’image de synthèse et les effets spéciaux numériques ont été une révolution dans l’univers du cinéma pas si récente que nous pourrions le croire. Les premiers essais concluants datent de la fin des années 50 avec des films comme Star Wars (1977) où certains plans de l’Etoile Noire sont en image de synthèse, Mondwest (1973) ou L’Âge de Cristal (1976) avec certains rayons lasers faits sur ordinateur. Les studios Disney sont allé plus loin avec le générique entièrement en images de synthèses du film Le Trou Noir (1980).
Mais la vraie révolution de l’époque reste Tron, toujours des studios Disney, réalisé en 1982 par Steven Lisberger, grand fan des jeux-vidéos qui commençaient à s’installer un peu partout. Le réalisateur voulait parler de personnages réels projetés à l’intérieur d’un jeu-vidéo et utiliser cette technologie balbutiante de l’image de synthèse pour l’illustrer. Cependant Tron triche un peu car il n’y a pas de véritable mélange entre les acteurs réels et les images de synthèses car la technologie ne le permettait pas encore. Il existait les logiciels pour fabriquer l’image de synthèse et l’imageur permettant de retranscrire ces images de synthèses sur une pellicule de 35mm mais il manquait le scanner haute-définition qui permettait de scanner les prises de vues réelles pour y intégrer les images de synthèses et enfin remettre le tout sur pellicule. Donc dans le cas de Tron, tous les plans où nous ne voyons pas d’acteurs sont en images de synthèses alors que ceux en présence des acteurs ont été filmé en noir et blanc et entièrement mis en couleur par la rotoscopie vue précédemment. Pour l’anecdote, plusieurs animateurs de chez Disney ont refusé de travailler sur le film en disant que leur métier était en train de disparaître pour laisser place à l’image de synthèse. Dans l’extrait présenté par Gilles Penso, nous pouvons facilement voir la différence entre les plans de prises de vues réelles et ceux en images de synthèse.
Malgré la révolution technologique qu’il représente, le film n’a pas connu le succès à sa sortie, peut être trop avant-gardiste pour son époque. En tout cas il est devenu culte depuis le temps et a même bénéficié d’une séquelle en 2010.
C’est quelques années plus tard que la technologie permettra de mêler réel et virtuel en un seul plan notamment avec une adaptation de la jeunesse de Sherlock Holmes : Le Secret de la Pyramide (1985). Dans la séquence visionnée, le personnage dessiné sur le vitrail d’une église va s’en détacher et surgir devant un comédien pour le menacer.
Le chevalier est animé en images de synthèses et fait face pour la première fois à un acteur réel. C’est également la première fois qu’un personnage humanoïde est créé en images de synthèses. Pour l’anecdote, c’est le studio ILM et l’animateur John Lasseter qui ont créé ce personnage, John Lasseter qui deviendra 10 ans plus tard le réalisateur de Toy Story et prendra la tête des studios Pixar.
L’étape suivante est d’essayer d’imiter la réalité là où Le Secret de la Pyramide anime encore une créature fantastique. C’est James Cameron qui va passer cette étape avec la créature d’Abyss (1989) : tentacule composée uniquement d’eau qui va prendre l’apparence de plusieurs comédiens. À l’époque, plusieurs techniques avaient été envisagées comme l’animation image par image qui a connu beaucoup d’améliorations depuis, notamment grâce au travail d’ILM sur Star Wars, pouvant reproduire le flou des mouvements et ainsi rendre l’animation beaucoup plus fluides et réalistes qu’avant. Alors que James Cameron voulait utiliser cette technique, c’est Denise Muren, le superviseur des effets spéciaux du film, qui a proposé de réaliser la scène en images de synthèse.
À l’époque comme aujourd’hui, on communiquait beaucoup sur les nouvelles technologies des effets spéciaux et même si le spectateur savait que c’était de l’image de synthèse, la magie restait intacte.
C’est James Cameron qui va essayer de se surpasser lui-même avec Terminator 2 (1991). Sans pour autant reproduire un avatar humain réaliste, le film va tout de même s’en approcher de plus en plus en mettant en scène un cyborg de métal liquide d’apparence humanoïde, joué par Robert Patrick, pouvant prendre l’apparence de n’importe quel objet. Encore une fois, ils ont du recourir à des techniques mixtes :
- l’animatronique qui permet de montrer le personnage à différentes étapes de délabrement grâce à une marionnette mécanique recouverte d’un maquillage d’effets spéciaux.
- l’image de synthèse qui permet de mettre en mouvement l’avatar du comédien avec un effet de métal liquide grâce à la technique de motion-capture.
- le morphing qui permet de passer de l’image de synthèse jusqu’à l’acteur réel en passant par l’animatronique. Les étapes intermédiaires sont calculées par l’ordinateur, rendant l’animation encore plus fluide.
Pour cela, la scène va être tournée 2 fois. La première de façon classique avec le comédien jouant dans les décors puis la deuxième avec le comédien recouvert de capteurs et filmé par deux caméras afin d’enregistrer ses mouvements pour ensuite les reproduire sur l’ordinateur. Comme pour Abyss, le visage du comédien a lui aussi été enregistré ou scanné pour que les animateurs aient une base à laquelle ils pouvaient se référer.
(extrait 6 à partir de 09:45)
L’image de synthèse commence alors à se démocratiser et même les petits studios peuvent en bénéficier comme celui qui a réalisé Le Cobaye en 1991. Le film montre aussi un univers virtuel et met en adéquation les effets spéciaux utilisés et l’histoire du film.
(extrait 7 à partir de 02:45)
L’image de synthèse va s’installer au cinéma et devenir très répandue. Les technologies vont aller de plus en plus loin pour servir au plus près les films et c’est avec Jurassic Park (1993) qu’il sera prouvé encore une fois que la technologie suit le scénario. Pour ce film, Steven Spielberg pensait animer les dinosaures en animatronique en plans rapprochés comme pour Les Dents De La Mer (1975) et utiliser l’image par image pour les plans larges. Le problème se pose quand il faut animer une dizaine de dinosaures en train de courir dans une forêt puisqu’à ce niveau, l’animation image par image ne peut plus suivre.
C’est toujours Dennis Muren, à la tête des effets spéciaux du film, qui va proposer de faire un test d’animation des dinosaures en images de synthèses. Pour Steven Spielberg, qui voulait montrer des animaux réels dans un environnement existant, la technique des images de synthèse n’était pas assez au point aux vues des films précédents. Cependant, Dennis Muren a réussi à animer à la perfection un tyrannosaure et à convaincre Spielberg d’utiliser cette technologie pour son film. Aujourd’hui encore, les dinosaures de Jurassic Park sont criants de vérité même face à des séries comme Terra Nova (2011) qui n’ont pas forcément le temps et le budget pour peaufiner et expérimenter de nouvelles technologies.
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À partir de ce moment là, on savait qu’on pouvait imiter la vie grâce aux images de synthèses. Ce qui va entrainer de nouvelles expérimentations, non pas dans l’hyperréalisme mais au contraire, dans l’exagération. Gilles Penso aborde maintenant le film The Mask datant de 1994, soit un an après Jurassic Park.
Ici aussi il y a beaucoup de techniques mixtes. Jim Carrey porte un vrai masque qui épouse son visage et laisse transparaître ses expressions et son jeu d’acteur alors que l’image de synthèse et les effets numériques prennent le relais pour les déformations de son corps. Ce film montre que l’on peut utiliser les images de synthèses d’une manière différente, comme les studios Pixar le feront plus tard dans leurs films afin de garder l’aspect cartoon de leurs histoires.
La motion-capture va apparaître petit à petit dans le milieu des années 90, même si cette technique se base sur des recherches bien plus anciennes comme la chronophotographe d’Etienne-Jules Marey. Le principe de la motion-capture est de demander à des comédiens ou cascadeurs de jouer une action dans un costume équipé de capteurs. Chacun de ces capteurs est lu et enregistré par des caméras et retransmit dans un ordinateur graphique pour n’en garder que les mouvements des comédiens. Les animateurs récupèrent ensuite ces mouvements là et les adaptent aux personnages qu’ils souhaitent. Plus il y a de capteurs sur le costume et plus les mouvements seront fidèles. C’est une technique très proche de la rotoscopie breveté en 1915, animée par cette même volonté de puiser dans le jeu des acteurs pour insuffler du réalisme à des avatars numériques.
Cette technique va beaucoup servir pour l’univers des jeux-vidéos, pour le cinéma fantastique et particulièrement pour les super-héros qui sont des personnages à forme humaine mais avec des mouvements surhumains.
Dans le premier film de Batman réalisé par Tim Burton en 1989, certains mouvements du personnage sont impossibles à réaliser par l’acteur Michael Keaton et par sa doublure. Tim Burton a alors utilisé non pas un avatar numérique mais une marionnette mécanique. Déjà à cette époque, on se rend compte que certains mouvements ne peuvent pas être réalisés par des cascadeurs et qu’un clone est indispensable. Dans Batman Returns (1991), certains éléments sont en images de synthèses comme les nuées de chauves-souris ou les armées de pingouins mais jamais les humains. Il faudra attendre Batman Forever et Batman & Robin réalisés par Joel Schumacher en 1995 et 1997 pour voir les super-héros remplacés par des images de synthèses à l’aide de mouvements réalisés la plupart du temps par des gymnastes en studio et de la motion-capture. C’est d’autant plus facile à faire que les personnages de Batman et Robin laissent très peu de peau apparaître à l’écran. C’est également le même constat pour le super-héros de Judge Dredd (1995) qui, pour une séquence de poursuite en moto, est remplacé par un clone numérique, laissant lui-aussi très peu apparaître son visage.
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Même si on arrive à remplacer un acteur par des images numériques de plus en plus facilement, c’est en 1995 que le premier film entièrement fait en images de synthèses verra le jour : Toy Story réalisé par John Lasseter des studios Pixar. Toutefois l’artiste français Moebius a failli être le premier à réaliser un film entièrement en images de synthèses, en adaptant son court-métrage Starwatcher, projet malheureusement tombé à l’eau.
C’est bien Disney qui sera le premier studio à avoir une réelle confiance en cette technique et qui va permettre à Pixar de réaliser Toy Story qui a la particularité de ne pas chercher à être réaliste. Grâce à ce film, une nouvelle branche de l’animation s’est créée. On pouvait réaliser un film en prise de vues réelles, en animation 2D par le dessin-animé, en animation 3D comme The Nightmare Before Christmas de Tim Burton réalisé par Henri Selick en 1993 et enfin en animation d’images de synthèses.
Comme l’a expliqué John Lasseter dans une interview donnée à Paris lors de la promotion de Cars 2 (2011), le principe des studios Pixar est d’utiliser des techniques d’animation qui peuvent créer du réalisme sans pour autant l’atteindre car on est dans le domaine de l’animation et non pas dans celui de prise de vues réelles. Essayer de copier une autre catégorie du cinéma serait inutile. Cette quête du non-réalisme est aussi celle des studios Dreamworks, Fox ou encore Mac Guff, studio français qui a entièrement réalisé Moi, Moche et Méchant en 2010.
D’autres studios se sont essayé à l’animation réaliste sans franc succès comme celui qui a réalisé Final Fantasy en 2001. C’est l’adaptation d’un jeu-vidéo dont le but était de proposer des êtres humains les plus réalistes possibles. Final Fantasy est donc le premier long métrage réalisé en motion-capture, contrairement à Toy Story. Les acteurs ont joué devant 16 caméras, avec des combinaisons en Lycra recouvertes de demi-sphères réfléchissantes permettant de capter les mouvements du corps à l’exception de leur visage et de leurs mains. Le résultat est assez bluffant mais les visages sont inexpressifs et les yeux semblent vides.
Même si 4 années de recherches ont été nécessaires pour ce film, le résultat escompté de réalisme n’est pas tout à fait atteint.
C’est un an après qu’un bond en avant énorme sera réalisé avec le personnage de Gollum dans le deuxième film du Seigneur des Anneaux : les Deux Tours, réalisé par Peter Jackson en 2002. Le personnage de Gollum est entièrement réalisé en captures de mouvements grâce à la performance du comédien Andy Serkis. Les scènes avec Gollum sont jouées 3 fois, une fois avec Andy Serkis et les comédiens, une deuxième fois avec les comédiens seuls et une troisième fois avec Andy Serkis seul munit d’une combinaison de capteurs pour la motion-capture.
C’est la première que la performance d’un comédien est autant mise en avant et que l’on ai demandé à celui-ci de rentrer dans la peau du personnage. Même si comme Final Fantasy les mains et le visage n’étaient pas captés, les animateurs de Gollum n’ont pas fait uniquement confiance à la motion-capture encore assez peu précise pour l’époque. Leur travail sur l’animation était encore primordiale pour coordonner tout le personnage et prolonger la performance de l’acteur. Dans une interview de Randall William Cook, le superviseur sur l’animation de Gollum, il explique que la motion-capture est responsable de 40 à 80% du résultat final selon le plan voulu. Aucune captation du visage d’Andy Serkis n’a était faite et ses mains ne fonctionnaient pas. Quelques fois ils utilisaient la performance d’Andy comme référence et parfois ils s’en détachaient lorsqu’ils avaient une nouvelle idée à proposer.
Comme les animateurs de Disney se servant des mimiques de Robin Williams doublant le génie dans Aladdin pour animer le visage du personnage, ceux qui animaient Gollum pouvaient avoir accès aux plans d’Andy Serkis, filmé sur le plateau avec les autres comédiens. C’est grâce à la combinaison acteur + animateur que le personnage de Gollum a pu être une telle réussite au cinéma.
À l’opposé, nous avons le dernier plan du premier épisode de la trilogie Spider-Man de Sam Raimi réalisée entre 2002 et 2007, où le personnage est entièrement animé en images de synthèses par positions clés comme un dessin-animé, sans motion-capture. Cela pour rester le plus fidèle possible aux positions adoptés par Spider-Man dans le comics originel, positions impossibles à réaliser par un acteur ou un cascadeur.
(extrait 11 à partir de 03:50)
L’effet est facilité par le fait qu’on ne voit pas une seule fois la peau du personnage. Pour Spider-Man 3 (2007), la technologie avait tellement avancé que les animateurs voulaient montrer que c’était possible de recréer la peau et ont fait tomber le masque de tous les personnages du film pour le prouver.
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Robert Zemeckis va quant à lui, créer la performance-capture qui va capturer non seulement les mouvements mais aussi la performance des comédiens, l’inaugurant en 2004 avec Le Pôle Express, premier long-métrage en performance-capture. Tom Hanks va donc jouer plusieurs personnages, aussi bien des adultes que des enfants, allant même jusqu’à jouer les deux personnages d’un même dialogue. Cependant, le problème inhérent de cette technologie depuis Final Fantasy n’est toujours pas réglé et les regards restent vides comme nous avons pu le voir dans un extrait du film, Zemeckis ayant demandé à son équipe de ne rien animer et de garder la performance-capture des acteurs intacte.
(extrait 12 à partir de 00:55)
C’est à partir de ce film que la notion de “cinéma virtuel” est apparue. Technologie par encore au point à l’époque mais qui nous mènera aux Aventures de Tintin de Steven Spielberg sorti en 2011.
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En parallèle, Peter Jackson va continuer ses expériences et demander à Andy Serkis de jouer le personnage de Kong dans sa propre adaptation de King Kong sorti en 2005. Pour la première fois, le visage de l’acteur est aussi truffé de capteurs et enregistré par les caméras comme le reste de son corps. Dans une séquence de combat entre Kong et un dinosaure, le même procédé sera utilisé que pour la version de 1933, c’est-à-dire que l’actrice est réellement filmée pour les gros plans, puis remplacée par un clone pour les plans larges, non pas animé en image par image mais cette fois-ci numériquement.
C’est déjà plus difficile de voir la différence entre l’actrice réelle et son double digital. Le paradoxe est que l’actrice est doublée par des images de synthèses alors que le monstre est doublé par un acteur réel. Toutes les expressions du visage de Kong ont été joué par Andy Serkis, sur le plateau de tournage, en même temps que les autres comédiens.
Nouvelle adaptation surprenante de la motion-capture pour un film qui n’est pourtant pas spectaculaire : L’Etrange Histoire de Benjamin Button réalisé par David Fincher en 2008. Pour les besoins du scénario, l’équipe du film a révolutionné la technologie de motion-capture. En effet Brad Pitt devait interpréter le même personnage du début jusqu’à la fin de sa vie, en sachant que le personnage nait sous l’apparence d’un vieillard et meurt avec la morphologie d’un bébé. David Fincher voulait absolument que Brad Pitt interprète le personnage dans toutes les étapes de sa vie, aussi bien enfant, qu’adolescent, adulte et même vieillard. Pour cela, ils ont du avoir recourt à plusieurs techniques. Les scènes étaient d’abord jouée dans les décors par une doublure ayant la morphologie souhaitée (soit bébé, soit adulte) tout en captant les mouvement de son corps et de sa tête puis le visage de Brad Pitt était lui aussi enregistré jouant les mêmes scènes dans une sphère d’appareils photos pour avoir tous les angles possibles de sa tête. Ensuite les animateurs ont transposé les expressions de Brad Pitt sur le visage numérique qu’ils ont enfin replacé sur le corps de la doublure.
(extrait 14 : le making-of à partir de 03:00)
Parallèlement, Robert Zemeckis va lui aussi continuer son travail en motion-capture mais ne va plus essayer d’être ultra-réaliste mais va d’avantage se rapprocher de la démarche des studios Pixar en utilisant des textures réalistes sur des personnages caricaturaux, comme dans Le Drôle Noël de Scrooge réalisé en 2009.
(extrait 15 : bande-annonce du film)
Le film en devient plus intéressant car il ne cherche pas l’hyper-réalisme et se détache ainsi des autres productions.
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Parlons maintenant d’Alice In Wonderland que notre cher Tim Burton a réalisé en 2010. Tim Burton est, comme on le sait, partisan des effets-spéciaux à l’ancienne telle que l’animation image par image. Pour Mars Attacks ! (1996) il avait d’ailleurs été frustré de ne pas pouvoir animer les martiens image par image à cause de raisons économiques. Des tests en stop-motion avaient pourtant été faits avec des figurines de martiens animées par Barry Purves que l’on peut retrouver en exclusivité dans l’exposition à la Cinémathèque.
Pour Alice In Wonderland, c’est un autre problème. Burton veut montrer à l’écran un univers complètement délirant où tous les personnages ont leur propre taille et les effets spéciaux numériques semblaient être la réponse la plus adaptée. Par exemple, la Reine Rouge incarnée par Helena Bonham Carter, a une tête 3 fois plus grande que la normale alors que le reste de son corps est normalement proportionné. C’est Ken Ralston, le superviseur des effets visuels, qui va demander à son équipe d’animateur d’agrandir image par image la tête de la Reine sur tous les plans où apparaît Helena. De même pour Stayne, le bras droit de la Reine incarné par Crispin Glover, qui a une tête normale pour un corps anormalement allongé. La motion-capture n’a pourtant pas été utilisée, l’acteur jouant ses scènes dans une combinaison verte bardée d’échasses pour cacher son corps alors que sa tête était entièrement visible et n’a pas subi de retouchés numériques. Le corps a ensuite était entièrement recréé numériquement et animé à la main. Il en ressort un effet un peu cartoon dans un mélange de prises de vues réelles et d’extensions numériques.
(extrait 16 : le making-of à partir de 01:00)
Comme Tim Burton le dit dans la Master-Class lors de sa venue à la Cinémathèque en mars, il a horreur des fonds verts qui est une couleur qui le rend malade. Pourquoi a t-il utilisé cette technique numérique alors qu’il préfère les techniques analogiques? Même si ça a été difficile pour lui, c’est toujours de l’animation et un bon animateur reste un bon animateur, tout comme les acteurs . Au final, peu importe la technique utilisée tant qu’il y a des professionnels pour la diriger et une histoire à raconter. Comme le rappel Gilles Penso, l’un des prochains films de Tim Burton à sortir est Frankenweenie, un film d’animation en image par image. La technique dépend des besoins d’un film et de son scénario comme Burton l’avait précisé dans la Master-class.
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C’est pourtant en 2009 qu’un véritable pas en avant va être franchi par le film de James Cameron : Avatar ! Les acteurs jouent toujours dans un immense studio munis d’une combinaison de capteurs mais la différence vient des caméras présentes sur le tournage. Tout d’abord, chaque acteur est équipée d’une mini-caméra HD pour filmer les moindres expressions de son visage mais c’est surtout la caméra virtuelle dont va jouir James Cameron, qui va faire toute la différence. Cette caméra va permettre au réalisateur de voir dans le moniteur, les mouvements des acteurs reproduits sur leurs personnages numériques en temps réel. Le studio est remplacé par la jungle de Pandora et les acteurs par les Na’vis.
Dans une interview, James Cameron dit que la différence entre les personnages du film Up réalisé par Pixar en 2009 et ceux d’Avatar est qu’ils sont créés par les acteurs et le réalisateur et non pas par des animateurs. L’apparition de la caméra virtuelle permet de rapprocher le réalisateur de ses acteurs sur le plateau d’un tournage. Pour que cela fonctionne, il faut de bons comédiens, de bons outils pour capter leur performance et de bons animateurs pour retranscrire cette performance sur les doubles numériques. L’idée est de créer une technologie qui n’exclut pas le réalisateur d’un tournage et de lui faire tenir une caméra même si celle-ci est virtuelle.
(extrait 17 : le making-of)
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Le dernier pas en avant de cette conférence est Rise of the Planet of the Apes réalisé en 2011 par Rupert Wyatt. La même technique de motion-capture a été utilisée mais cette fois-ci, les comédiens ont évolués en extérieurs, dans des décors naturels et filmés en live en même temps que les autres comédiens. Grâce à de nouveaux capteurs disposés sur les costumes, la motion-capture peut s’affranchir des studios de tournage fermé, les LEDs remplaçant ainsi les capteurs peu visibles sur certaines caméras. Les scènes étaient tournées trois fois : une première fois avec les comédiens humains faces aux comédiens qui jouaient les singes, une deuxième fois avec les comédiens humains seuls et une troisième avec les décors vident pour avoir un maximum d’informations enregistrées afin d’aider les animateur dans leur travail.
(extrait 18 : le making-of)
C’est toujours Andy Serkis qui joue le rôle principale, celui du singe César, après avoir interprété Gollum et Kong au cinéma. C’est un vrai pas en avant pour la technologie qui permet d’obtenir encore plus de détails pour la peau, les poils, les expressions du visage, le regard etc… mais c’est aussi un pas en avant pour le réalisateur qui peut tourner ses scènes dans les décors voulus, comme un tournage classique.
C’est pourtant l’inverse du dernier exemple proposé, celui des Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne réalisé par Steven Spielberg en 2011. À l’image de Pixar ou Zemeckis, la volonté du film n’est pas d’être réaliste mais au contraire, de montrer un univers de cartoon et plus précisément ici issu de la bande-dessinée d’Hergé. C’est un film d’animation joué par de réels comédiens.
(extrait 19 : le making-of)
La performance-capture permet d’avoir deux acteurs différents pour jouer Dupond et Dupont alors que leurs doubles digitaux sont identiques l’un par rapport à l’autre.
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Voilà où en est la technologie pour l’instant. La captation permet d’avoir de plus en plus de détails et de réalisme dans les textures et les mouvements des avatars. Il est maintenant possible d’animer une image de Marilyn Monroe mais si elle n’est pas là pour enfiler la combinaison de capteurs et jouer ses propres mouvements, il n’y a pas d’intérêt, comme l’a précisé James Cameron. En revanche, si Steven Spielberg et Harrison Ford veulent continuer à faire des films sur Indiana Jones, même à 80 ans l’acteur pourra jouer le rôle de l’aventurier sur grand écran grâce à la motion-capture. Ce qui pose évidement des problèmes déontologiques sur la disparition du métier de comédien. Cependant, dans tous les exemples cités ici, le comédien est au cœur de la performance et jamais laissé pour compte. Chaque bond en avant utilise la performance d’un acteur demeurant toujours irremplaçable.
Gilles Penso a passé une interview de Steven Spielberg, qui a produit Le Secret de la Pyramide (premier film où un acteur fait face à des images de synthèses), réalisé Jurassic Park, A.I., La Guerre Des Mondes, des films où l’image de synthèse est à son apogée, pourtant son discours vis-à-vis de ces effets numériques reste très mesuré :
“Le cinéma numérique a sa place dans le cinéma analogique à partir du moment où il reste discret. Mais quand on voit un film où des milliers de soldats dévalent une colline, on sait immédiatement que ce n’est pas possible à faire en réalité même si cela a l’air réel. C’est à nous de décider jusqu’où nous voulons pousser l’image numérique. Vous avez accepté mes dinosaures numériques parce que vous vouliez être effrayé par l’histoire et y croire mais il y aura un moment où le spectateur rejettera ces images et préfèrera voir des films où les actions se déroulent vraiment, dans un temps et un lieu bien réel.”
(extrait 20 : l’interview entre 12:40 et 13:50)
La motion-capture est une nouvelle possibilité qui en aucun cas balaie toutes les autres. Le cinéma d’animation traditionnelle continue d’exister, preuve en est le film Zarafa (2012) ou ceux des studios Ghibli.
Le mot de la fin est naturellement laissé à un comédien : Andy Serkis qui n’a jamais autant travaillé qu’en étant au cœur de cette révolution numérique (Gollum dans Le Seigneur des Anneaux, Kong dans King Kong, César dans Rise of the Planet of the Apes et Capitaine Haddock dans Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne, rien que ça !) :
“La performance capture est un moyen de créer un lien entre un acteur et son personnage numérique. C’est en quelque sorte le même travail qu’un marionnettiste. Les outils ont peu d’importance à partir du moment où c’est fait avec honnêteté et émotion vis-à-vis des personnages à interpréter. Là où les effets numériques ne fonctionnent pas, c’est lorsqu’ils ne sont pas relié à l’affectif ou à l’humain. Il peut y avoir un terrible gouffre entre l’idée initiale et sa manifestation numérique parce que l’esprit d’un personnage est toujours lié à la condition humaine.”
L’humain est toujours mit en avant et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Le choix est ouvert à tout le monde et plus il y aura de possibilités dans le cinéma, mieux il se portera. Un film comme Les Aventures de Tintin n’empêche pas d’aller voir le film Zarafa ou The Artist ou Polisse. Gilles Penso termine en disant que la Cinémathèque s’ouvre de plus en plus à toutes ces cinématographies là et qu’il faut rester optimiste pour l’avenir du cinéma !
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Compte-rendu et traductions par Loïc, relecture et correction par Laston.
Plus d’informations sur les conférences de la Cinémathèque Française sur le site officiel.