Burtoniens, Burtoniennes, j’ai l’immense honneur de lancer la première étape du Marathon Tim Burton. Ce mois-ci est même plutôt chargé puisque ce sont exceptionnellement trois films qui sont mis à l’honneur. Alors mettez votre plus beau nœud papillon rouge, sortez votre intégrale d’Edgard Poe, et rendez-vous au moulin du mini-golf pour un mois de folie! Avril sera donc placé sous le signe de Vincent, Frankenweenie et Pee-Wee’s Big Adventure.
Commençons par le commencement. En 1982, notre cher Timmy n’est qu’un animateur et superviseur des effets visuels de chez Disney parmi tant d’autres, à cela près qu’il a bien du mal à s’intégrer à des équipes où on lui demande de dessiner des petits renards mignons… Il trompe donc l’ennui en gribouillant des bestioles bizarres et en s’enfermant occasionnellement dans un placard, entre deux siestes à sa table à dessins. Le jeune homme semble ainsi condamné à un éternel et étrange supplice, autorisé à dessiner tout ce qu’il veut sans que cela ne soit jamais utilisé dans un film. Il finit cependant par attirer l’attention de deux responsables de chez Disney, Julie Hickson et Tom Wilhite, qui acceptent de lui céder quelques dizaines de milliers de dollars pour faire un court-métrage en stop-motion qui servirait de test au studio, toujours à la recherche de nouveaux supports dans le film d’animation.
Burton ressort donc de ses cartons un poème en vers écrit sur le modèle du célèbre auteur américain de livres pour enfants, le Dr. Seuss. Il avait à la base prévu d’en faire lui-même un livre pour enfants, mais préfère sauter sur l’opportunité qu’on lui offre de bidouiller des marionnettes comme l’un de ses héros, Ray Harryhausen. Il lui faut alors deux mois pour réaliser Vincent, une expérience enrichissante qui lui permit de rencontrer Rick Heinrichs, devenu depuis un de ses habitués, mais également l’acteur américain Vincent Price, surtout connu pour ses rôles dans les films d’horreur de Roger Corman dans les années 60, et qui fascine Burton depuis sa plus tendre enfance. L’homme accepte de prêter sa voix caverneuse au narrateur du film, et une véritable connexion s’établit entre les deux hommes, début d’une amitié bien plus forte qu’une simple relation fan/idole et qui durera jusqu’à la mort de Price.
Vincent aborde donc déjà une grande partie des obsessions et références de son auteur, à travers l’histoire d’un petit garçon obsédé par Vincent Price et Edgard Poe, jusqu’à ce qu’il ne parvienne plus à démêler le rêve de la réalité. Burton déclare avoir découvert Poe à l’école et s’être senti très proche de son œuvre puisque “ses phrases n’avaient pas vraiment de sens d’un point de vue logique, mais pourtant on comprenait tout ce qu’il voulait dire à travers les ambiances évoquées.” (Studio juillet 95) La fin du film, très sombre, reste d’ailleurs ouverte à plusieurs interprétations, ce qui pour son réalisateur est bien moins déprimant que le happy end forcé que l’on a tenté un moment de lui imposer.
Une fois le film terminé, Disney ne sait pas trop quoi en faire, il le place pendant deux semaines en première partie d’un film pour ados, Tex, avant de lui faire regagner les cartons. Le court-métrage recevra pourtant un très bon accueil critique et même des prix aux festivals de Chicago et d’Annecy, avant de disparaître de la circulation, jusqu’en 1994 où, faisant preuve d’un rare manque de discernement, Disney le ressortira sur la cassette de L’Étrange Noël de Monsieur Jack, contribuant ainsi à traumatiser des générations de petits burtoniens en herbe…
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Tim Burton retourne ensuite à sa tâche d’homme de main de Disney, mais deux ans plus tard, il a pour la première fois l’opportunité de diriger des acteurs professionnels dans un nouveau court-métrage, Frankenweenie. A travers ce film, il souhaite montrer qu’il y a pour lui un lien indéniable entre la banlieue américaine telle que celle où il a grandi, et l’univers gothique des vieux films d’horreur et de la littérature anglo-saxonne du XIXème siècle. Il élabore ainsi, avec l’aide de Lenny Ripp, l’histoire d’un petit garçon qui ressuscite son chien, Sparky, à l’aide d’un procédé digne du Dr. Frankenstein… Burton refuse cependant le “reco-pillage” facile: plutôt que de partir d’études et d’éléments précis des oeuvres qui l’inspirent, comme le Frankenstein de James Whale, il préfère se baser sur les impressions et les souvenirs que ces films lui ont laissés, faisant toujours passer ses références à travers le prisme de ses émotions.
Frankenweenie doit alors être montré avant Pinocchio lors de sa ressortie en salles cette année-là, jusqu’à ce que la censure lui inflige un PG (interdit aux moins de 12 ans), achevant de le rendre impossible à distribuer. Burton ne comprendra jamais cette réaction puisque, selon lui, Pinocchio contient bien son lot de scènes effrayantes et a probablement traumatisé plus d’enfants que ne le fera jamais Frankenweenie… Le film sera cependant brièvement projeté au Royaume-Uni en accompagnement d’une sorte de précurseur de Jurassic Park, Baby: Secret of the Lost legend, avant de disparaître de la circulation, jusqu’à la sortie VHS de Batman, le Défi sur laquelle on pourra un moment le retrouver.
- Frankenweenie est disponible dans les bonus du DVD de L’Etrange Noël de Monsieur Jack, mais également sur YouTube.
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Lassé de passer son temps à réaliser des films qui ne sortent jamais, Burton quitte enfin Disney, et grâce à une amie à Warner Bros, Bonnie Lee, il obtient à 26 ans la possibilité de réaliser son premier long métrage, Pee-Wee’s Big Adventure. Basé sur une émission pour enfant qui fait un carton à l’époque, Pee-Wee doit avant tout mettre en avant l’univers du créateur et interprète du personnage, Paul Reubens, mais Burton se découvre une telle connexion avec ce monde délirant et ce personnage de grand enfant qui part à travers l’Amérique à la recherche de son vélo, qu’il se sent parfaitement dans son élément. Le tournage est quasi-idyllique, malgré quelques pressions du studio leur demandant de finir le film le plus rapidement possible, le jeune réalisateur s’en donne à cœur joie, ajoutant quelques trouvailles visuelles, en améliorant d’autres, découvrant le plaisir d’avoir des acteurs spécialistes de l’improvisation au sein de son casting, ce qui apporte son lot de surprises et de scènes inattendues. C’est également l’occasion pour lui de rencontrer celui qui va ensuite devenir un de ses plus fidèles collaborateurs: pour la musique du film, il décide de s’adresser à Danny Elfman, chanteur d’Oingo-Boingo, un groupe qu’il apprécie particulièrement. C’est pour lui une révélation, et la première fois que la musique devient un personnage à part entière de son film.
Lorsque Pee-Wee’s Big Adventure sort aux États-Unis au cours de l’été 1985, les critiques sont assez unanimement négatives, ce qui n’empêche pas Tim Burton d’assumer jusqu’à aujourd’hui son amour pour ce film qu’il a pris tant de plaisir à faire. Il préfère voir la chose du bon côté: après tout, se faire descendre par la critique sur son premier film, ça met largement moins la pression que si on vous dit que vous êtes le nouvel Orson Welles…