Mercredi 22 janvier 97. La nuit tombe sur Hollywood déjà gris sous l’orage. Le mythique Château-Marmont, tel le chateau du comte Dracula, surplombe toujours Sunset Boulevard. La pluie gouttant sur ses angles rappelle, au choix, l’antre de la famille Addams ou celle d’Edward aux mains d’argent. On comprend pourquoi Tim Burton et sa compagne et belle Martienne Lisa Marie y ont élu domicile. Nous débarquons avec quelques accessoires de Mars Attacks! “volés” dans l’après-midi à la Warner. Pendant le déchargement, Rosanna Arquette déboule avec son énorme 4×4 et manque de nous écrabouiller sans même s’en apercevoir. Dans la cuisine, Lisa Marie se laisse maquiller, coiffer, pomponner pendant deux heures par ceux qui l’ont déjà transformée en Martienne pour Mars Attacks! Tim débarque enfin, avec leur chihuahua du Japon (lui aussi star dans le film). Les blagues fusent sur le quadrupède miniature arpentant hystériquement mais prudemment chaque recoin et chaque occupant de la pièce. Un martien est suspendu au plafond, et la chaine HiFi, seule rescapée du chambardement, crache les remix métalliques de Björk sous les spots éblouissants, rouges, verts et blancs de Stéphane Sednaoui. Tim et Lisa s’assoient silencieusement devant une télé eteinte. Ils se sussurent des mots doux et se lancent des clins d’oeil. La veille, Tim nous avait parlé de son dernier film, né d’une série de cartes à collectionner des années 60, l’occasion pour lui de conjuguer son talent de dessinateur (il a débuté chez Disney) avec sa sympathie pour “le plus mauvais réalisateur du monde” et héros de son film précédent: Ed Wood.
Première/ Mars Attacks! est-il vraiment une parodie ?
Tim Burton / Il y a des éléments. C’est un patchwork d’idées. J’ai essayé de casser les clichés du genre.(Il rit.) J’ai grandi en regardant ce genre de films. Vous prévoyez le moment où les personnages sont prêts à débiter leurs tirades téléphonées. Vous reconnaissez les personnages types, comme le gars qui comprend tout, tout de suite. Le son, aussi, est important. Dans tous ces films de science-fiction, il y avait toujours ces sons idiots de rayons laser…
Ce n’était pas dur de vendre aux studios un film qui se moque de leur fond de commerce ?
Là, c’était facile parce que tous les acteurs avaient accepté le projet pour cette raison. A Hollywood, il y a tellement d’argent en jeu maintenant qu’on peut plus tuer les stars! Mais même les acteurs en ont marre!
Vous pensez avoir fait un film à la Ed Wood ?
J’avoue que je me suis laissé hanter par son esprit. Il était si enthousiaste. Et puis, ce genre de films a crée l’imagerie qui, quelles que soient les évolutions technologiques, restera l’essence même des films comme Mars Attacks! Ces images sont peut-être même plus fortes aujourd’hui qu’à l’époque. La technologie n’y change rien. Moi, je reste influencé et inspiré par des films comme L’invasion vient de Mars(Tobe Hooper, 85) qui dénotait un grand sens du design.
Vous vous considérez comme un outsider ?
Tout le monde, non ? C’est un sentiment assez commun. Une fois que ça vous tombe dessus, je ne crois pas que vous puissiez en sortir. Vrai ou pas, ça vous colle à la peau. Mais je ne tiens pas trop à m’analyser, sinon je deviendrais fou. Dans tout mes films, on retrouve ce thème de la perception de ce qui est “différent”. J’essaie toujours de ne pas juger, je trouve ça dangereux, mais j’ai toujours une opinion.
Pourquoi sabotez-vous toujours au générique le logo du studio ?
C’est juste pour les taquiner. Mais c’est gentil. C’est ma revanche. Ils me cherchent, ils me trouvent. Même s’ils sont plutôt bons avec moi. Evidemment, ça les fait un peut tiquer, mais ils sont tolérants. Je trouve ça assez sain.
Vos images sont extrêmement riches en détails…
C’est ce que j’adore dans la réalisation et ce qui me motive. Il y a une espèce de procédure standard à Hollywood qui consiste à immédiatement tout étaler à l’écran. Ca m’ennuie. J’aime cacher, que tout ne soit pas compris instantanément, qu’il reste plusieurs éléments à découvrir dans un plan. C’est ce qui donne au film un caractère mystérieux. C’est ça qui lui confère sa texture, sa beauté. Même si tout le monde ne voit pas tout, il suffit que le spectateur sente cette “texture”.
Que voulait dire Ed Wood quand il déclarait: “film-making is not about the tiny details. It’s about the big picture” (“un film ne se préoccupe pas des détails. C’est un tout”) ?
C’est un délire complet! Le producteur lui demande des comptes et il esquive par une réponse bidon. C’est comme les studios avec les réalisteurs. Quand vous vous lancez dans la réalisation, vous commencer à délirer, à créer votre propre monde totalement imaginaire. Ca arrive à tous, et à moi le premier. Vous vous immergez dans votre propre illusion, vous loupez tout ce qui se passe à l’extérieur. Je l’ai vécu. Et au moment où quelqu’un vient vous poser des questions, instinctivement, vous répondez n’importe quoi pour avoir la paix.
Ca vous arrive souvent ?
Oui. Naturellement, il m’est déjà difficile de garder les pieds sur terre. Alors, quand je réalise un film…L’irréel prend le pas sur le réel. Vous avez un tel pouvoir que vous êtes rapidement victime de la folie des grandeurs!
Spécialement sur des productions à 400 millions de francs comme Mars Attacks!
Oui et non. Sur une aussi grosse production, tant de trucs peuvent mal tourner que vous ne pouvez pas vous permettre d’être totalement fou et égocentrique. Quoique…j’en connais certains. Pour moi, c’est plutôt un garde-fou. (Il s’excite en rigolant) Dans Ed Wood, la scène avec la pieuvre, je dis: “Ok, action!” et l’acteur répond; “Fuck you! Viens-y toi, dans la mare!” Bon, ok, ça peut m’arriver…
Vous donnez beaucoup d’indications aux acteurs ?
On touche là au rôle décisif du casting. Quand j’ai demandé à Martin Landau de jouer dans Ed Wood, je savais qu’il comprendrait vite; il a vécu le type de carrière de Bela Lugosi, avec des hauts et des bas. Je me renseigne personnellement sur le passé des acteurs avant de les choisir. Mais je préfère, quand je peux, rester flou dans mes conversations avec eux. Avec Johnny Depp, sur Edward aux mains d’argent, nous parlions de chiens! Certains acteurs vous disent: “Ok, je le joue comme Gary Cooper.” Mais moi, je ne veux pas de références. Mars Attacks!, par exemple, s’appuie entièrement sur une ribambelle de films bizarres de SF, mais je n’ai jamais suggéré à personne de jouer comme dans La Planète interdite! J’essaie d’utiliser des références plus abstraites. Je détesterais qu’on trouve un emprunt dans un de mes films.
Mars Attacks! a été un bide aux Etats-Unis…(36 M$ en fin de carrière). Ca vous pose un problème ?
Je ne sais jamais pourquoi mes films marchent ou pas. Si je le savais, je serais l’homme le plus riche du monde. J’ai choisi le cinéma parce qu’il offre différents niveaux de compréhension au spectateur. Ce qui me contrarierait, ce serait que personne ne comprenne plus rien à ce que je montre. Mais que certains comprennent aux prix de l’incompréhension des autres ne me dérange pas. Jusqu’à présent, j’ai eut la chance d’avoir pour moi assez de personnes de la première catégorie…
Le triomphe d’Independance Day a-t-il eu une influence sur votre film ?
Sûrement sur le public. Certainement pas sur moi ni sur ma réalisation. En fait, je n’ai pas été le voir. Je ne vais jamais au cinéma pendant que je tourne. Quand je travaille sur un film, je ne veux être influencé par absolument rien, que ça ait à voir ou pas avec mon film.
D’où vient cette “humeur” qu’on retrouve dans vos films ?
De mon enfance, je crois. J’ai grandi dans une banlieue américaine (Burbank) qui est plus grise que ce qu’on en présente? Je suis de la génération des années 50, de la famille et de l’ère nucléaire: tout le monde doit être heureux et avoir 2,5 enfants… Tout était censé aller pour le mieux mais ce n’était pas la réalité. C’est pourquoi j’aime autant montrer que les choses ne sont pas ce qu’elles semblent être. Notre cité a tendance à catégoriser. Or, on n’a pas une force sans sa contre-force. Dans Mars Attacks!, les martiens étaient la force qui mettaient en évidence cette tendance à la catégorisation. En ce sens, la guerre du Golfe était typique: elle avait son hymne, son propre code visuel, son logo, son propre titre! Les choses ne sont pas si lisses. Dans mon film, tous ceux qui meurent sont ceux qui pensent avoir tout compris sur les Martiens. Et ceux qui ne dressent pas de profils types des Martiens s’en sortent.
Vous vous considérez comme un intellectuel ?
Je suis un gosse de la télé. Mes références philosophiques sont plutôt ( il rit) les Beverly Hillbillies. C’est malheureux…
Que pensez-vous de la découverte d’une vie possible sur Mars ?
Les gens qui sont choqués par l’existence d’une vie sur une autre planète me fascinent. Comme ces types qui construisent leur maison à Malibu et s’effarent que l’océan ait pu l’emporter. Les gens ont vraiment des vues étroites. Ca m’étonne toujours quand tout le monde s”excite autant sur les phénomènes de l’univers parce que, bien evidemment, ça existe!
Vous avez vu des choses ?
Bien sûr. J’ai vu des trucs que je ne peux pas expliquer. A moins qu’un type ait réussi à balancer une assiette en carton 100 mètres plus haut que tout le monde!
Dans une Amérique de plus en plus “correcte”, on sent que vous êtes, vous, à deux doigts de déraper…
J’ai de plus en plus de difficulté à définir ce qui est “politiquement correct” aujourd’hui. On n’arrête pas de hurler sur ce qui est “incorrect” et, en même temps, regardez comment on vous présente les infos! Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus dingue. On s’insurge contre la violence dans les films et, après, on vous présente la guerre comme une minisérie, comme une charmante petite chose. Pour moi, Mars Attacks! est certes une fiction, mais, au bout du compte, il est assez bizarrement réaliste dans notre monde complètement cinglé.
Mars Attacks! est bourré de vert et de rouge, les couleurs de Noël… Noël est très présent dans vos films…
Noël est un moment heureux mais c’est aussi le moment où les gens se suicident le plus! En Amérique, les gens associent “conte de fées” à “l’histoire joyeuse pour enfants”. En réalité, ces contes sont les histoires les plus sinistres que vous puissiez entendre. Ils se rapprochent davantage du film d’horreur. C’est pour ça que j’essaie toujours de montrer que les apparences sont trompeuses. Batman, le Pingouin…, ils ont tous cette double personnalité. Noël, c’est la lumière et c’est aussi l’obscurité, je dois avouer qu’à chaque fois qu’on m’a foutu sur les genoux du Père Noël quand j’étais gamin, j’étais terrifié! D’abord, c’est qui ce type, avec son gros nez rouge et son truc blanc ?
Une question stupide…
Ok! Réponse stupide…
Pensez-vous que Bill Clinton soit un extraterrestre ?
Ce n’est pas du tout une question stupide. Ce n’est peut-être pas un alien, mais plutôt un robot…En fait, je dirais que c’est un androïde d’une autre planète.