Visages de mort


Tim Burton affectionne les masques. Il s’en amuse et en use. A l’instar de ses créations, il aime à se cacher, à revêtir quelques oripeaux trompeurs destiné à dissimuler son Moi profond. Aussi, s’il ne renie pas son statut de cinéaste hollywoodien, son véritable caractère est ailleurs. L’anarchisme et la noirceur d’inspiration romantique qui innervent ses films s’expriment ainsi à travers une forme chatoyante et spectaculaire que seule la toute puissance des studios lui permet de mettre en oeuvre. En cela, il semble proche d’un Vincente Minelli qui, peut-être, n’aurait renié ni Edward aux mains d’argent ni Sleepy Hollow. Mais cette magnificence a un prix. Elle implique un pacte faustien, un contrat en lettres de sang où l’âme risque d’y trouver sa perte. Et ce n’est pas parce que Burton manipule depuis longtemps ces règles qu’il est à l’abri d’un faux pas. Cette Planète des singes est malheureusement là pour nous le rappeler.

Tout ce qui importe ici se trouve en marge de l’intrigue. Cette dernière a été ramenée à sa plus simple expression. Sans faire de comparaison avec la version de 1968, déjà produite par Richard D. Zanuck, force est de constater la pauvreté de son écriture. La fable philosophique devient prétexte à un récit d’aventure aux actions mouvementées, parfois plaisantes, souvent vaines. Dans ce récit sans substance, rien ou si peu ne nous est dévoilé des structures sociales de ces singes si humanisés. Le retournement du récit lui-même, devenu si célèbre avec sa Statue de la Liberté émergeant des sables, est ici simple pirouette scénaristique, un ” twist ” dont l’effet de surprise camoufle avec peine l’incohérence. La portée morale du récit imaginé par Pierre Boule et réécrit à l’époque par Rod Serling, le créateur de The Twilight Zone, a réduit comme peau de chagrin. Elle semble parfois ressurgir par brefs éclats, cependant trop rares pour réellement produire un discours, un sous-texte qui nous interpellerait. Soulignons seulement la barbarie soudaine dont font preuves les humains lors de l’affrontement ultime, une violence que le film réservait jusqu’alors aux créatures simiesques.

Alors, qu’est donc venu faire Burton dans cette galère ? Au-delà des réponses, examinons non pas ce qu’il n’a pu réaliser mais ce qu’il a réussi à produire à partir de cette presque indigence. Tout ce que le film a d’intéressant, il le doit à son univers. Mais de manière si évidente, si ostentatoire que cela en devient gênant. Pour le dire autrement, tout ce qu’il apporte d’original est comme greffé au film. Et les coutures se voient. Ces gros plans sur le visage d’un chimpanzé enfermé dans un costume d’astronaute, ces singes faisant leur toilette la tête en bas ou se préparant à de peu innocents jeux nocturnes, des garnements pleins de poils et de bière portant le blouson noir des rebelles sans cause… rien que des inserts, des moments collés sur un film avec lequel ils n’auraient que peu à voir.

L’ironie si chère à Burton est donc bien présente. Elle reste néanmoins souterraine. En fait, l’aspect subversif du film apparaît si codé qu’il en devient hypothétique. Le cinéaste s’est ingénié à mettre sous des masques par ailleurs étonnants de plasticité et d’expressivité les acteurs les plus intéressants de la distribution. David Warner, Helena Bonham Carter, Tim Roth, tous comédiens anglais, et donc excellents, que notre mémoire associe à d’intenses moments cinématographiques, sont rendus méconnaissables. Quant aux autres, aux “humains”, ceux parmi eux dont les noms étaient synonymes de bonnes surprises, comme Kris Kristofferson, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Ils sont ramenés au stade de pantins gesticulants et geignards.

La subversion supposée vient de l’opposition que Tim Burton semble organiser entre ces derniers et les têtes d’affiches, lisses et insipides, que le film nous impose. Elle seule rend d’ailleurs supportable la figure d’un Mark Wahlberg toujours aussi inerte. Dans cette mise en regard des visages mornes des humains et des traits si volubiles des hominidés, Burton paraît faire une constatation. Il semble signaler la décrépitude de l’acteur au sein d’un système voué à son autodestruction. L’être ne serait alors plus qu’un morceau de chair flasque pris dans un perpétuel mouvement, et qui, au mieux, serait autorisé à n’exister que sous un masque grotesque. Et, comme le cinéma reste malgré tout un espace réfléchissant, on peut en retour s’interroger sur la nature de ceux qui, du fond de leur fauteuil, regardent les derniers soubresauts de ces ersatzs d’humains.

Alors, bien sûr, tout cela n’est peut-être que le produit de notre imagination, une invention née d’un obscur pessimisme. Peut-être que le dernier opus du magicien d’Hollywood est un ratage inattendu mais bien réel. Néanmoins, peut-être est-il aussi un de ses ouvrages les plus sombres et les plus désespérés.