“Les Noces funèbres de Tim Burton” : La mariée est enterrée et le marié est empoté


C’est Noël ! Une semaine après la sortie des désopilantes aventures de Wallace et Gromit (Le Mystère du lapin-garou), nous voici invités à célébrer ces somptueuses Noces funèbres de Tim Burton, qui portent très haut, dans le ciel fantasmagorique de l’enfance, la magie du cinéma d’animation.

Notons d’emblée (outre la voix de la charmante Helena Bonham Carter) l’échange de bons procédés dont ces deux films, témoins de l’excellence anglo-saxonne en la matière, font usage : hommage parodique à la grande forme hollywoodienne pour les créatures de pâte à modeler des Anglais Nick Park et Steve Box, libre inspiration du roman gothique anglais ­ son esthétique funèbre, sa poétisation de l’horreur, son érotisme scabreux ­ pour les marionnettes de l’Américain Tim Burton.funèbres, conte fantastique et film d’amour tout à la fois, racontent l’histoire, quelque part au cœur de la sinistrose victorienne, d’un mariage contrarié. Celui de Victor Van Dort (modèle et voix : Johnny Depp), rejeton d’une famille de nouveaux riches ayant fait fortune dans la poissonnerie et avides de s’élever dans l’échelle sociale, et de Victoria Everglot (modèle et voix : Emily Watson), unique fille d’un couple d’aristocrates déchus, qui condescendent à se boucher le nez en favorisant cette union.

Ce serait l’alliance de la carpe et du lapin si les deux jeunes gens ne se plaisaient visiblement. Hélas, le jeune Victor se montre tellement maladroit lors de la répétition des vœux nuptiaux que le vampirique pasteur (à la voix : Christopher Lee) le chasse de son temple. Errant comme une âme en peine dans la forêt, Victor répète son texte dans la solitude et, joignant le geste à la parole, passe l’alliance de sa promise sur une racine. Ladite racine se révélant être le doigt d’une morte ­ fiancée jadis défunte au milieu de ses noces ­, Victor se voit brutalement saisi par la main et bientôt aspiré dans le royaume des morts, où la belle inconsolée (à la voix : Helena Bonham Carter) entend le garder comme mari.

L’ÉVANESCENTE ÉCORCHÉE

Horrifique terreur ? Non, plutôt épatante et carnavalesque surprise, tant l’ambiance qui règne en ces lieux se révèle plus aimable et enviable que celle qui englue le royaume des vivants. A la tristesse, à la grisaille et à l’aigreur du monde d’en haut correspondent ici le mouvement, la couleur, l’enthousiasme, la gentillesse, et même, sur la partition musicale enjouée de Danny Elfman, un indéniable sens de la fête. On ajouterait pour un peu le goût de la vie si les autochtones de ces profondeurs n’étaient construits sur un modèle unique : celui du squelette.

Ce triste état vaut au premier chef pour la fiancée défunte, dont les quelques petites particularités physiologiques (une conscience réflexive incarnée par un asticot qui la ramène sans cesse, éjectant au passage l’œil de son orbite) n’enlèvent rien au charme fatal. Lèvres rouges et pulpeuses, mélancolique amande du regard, longs cheveux noirs et soyeux, taille de guêpe, bustier coquin, biographie à fendre l’âme : Victor, sans jamais renier sa douce Victoria, sera sensible à la séduction de l’évanescente écorchée.

Le dilemme est cruel, qui se résoudra par une infiniment triste et joyeuse apothéose. Dominé de bout en bout par le motif du couple antithétique ­ la symétrie grotesque des parents des mariés, les mondes parallèles, la double fiancée, l’amour et la mort ­, ce très beau film trouve en tout cas son unité dans l’affirmation poétique d’un art qui semble vouloir relier l’onirisme de Murnau (Nosferatu, L’Aurore) à l’incongruité comique de Blake Edwards (Victor, Victoria). Un art si proprement burtonien en somme que son auteur aura éprouvé le besoin d’incorporer son nom au titre même de son film. Les Noces funèbres de Tim Burton ? Plus qu’un film de Tim Burton, le credo équivoque d’un grand artiste dont l’enfance défunte renaît incessamment à l’écran.