Quand on demande à Tim Burton s’il considère ce film comme un film personnel, il rit et répond immédiatement qu’il le considère bien à lui. En effet, quand on regarde le film, on est surpris des reproches infondés et aveugles de la presse et du public. Car Planet of the Apes de Tim Burton est un film plus que jamais «à la Burton», esthétique et politique, avant toute chose.
Périclès, le chimpanzé…
Le chimpanzé héros du film se nomme Périclès. Il deviendra le Dieu des singes. Si la critique de cinéma internationale faisait son travail comme il se doit, elle aurait découvert que ce nom peu commun, Périclès (il n’existe en fait qu’un seul homme portant ce nom dans le dictionnaire), était un homme politique athénien qui créa de grandes réformes démocratiques (participation de la 3ème classe, gratuité des spectacles…), mais devint peu à peu un tyran imposant une pression économique sur les autres pays et menant aux guerres. Périclès refusa alors peu à peu les droits civiques à tous les étrangers. Il mourut de la peste après avoir fait de son pays une nation riche en arts, prospère, mais belliqueuse et peu tolérante. En parlant de Périclès, on pense inévitablement aux États-Unis d’aujourd’hui. Ce pays riche qui fait pression sur les étrangers, et cette nation peu généreuse et conflictuelle. Burton parle de la nature fascisante de son pays derrière sa richesse aveuglante. Il annonce aussi le déclin de cette nation faussement démocratique tournée vers le profit, et la haine, et pas assez vers l’humain et l’ouverture. Il parle de notre époque, l’an 2001, mais sa référence au Périclès d’hier indique que rien n’a changé chez l’homme: il y a toujours les mêmes soucis, les mêmes tyrans, comme dans le 2001 de Kubrick, à qui Burton fait un clin d’oeil en utilisant les décors blancs. Planet of the Apes de Burton est un film qui se déroule dans le futur, mais dont le futur est montré et annoncé comme le présent et comme le passé.
Charlton Heston…
L’acteur américain Charlton Heston fait partie de la distribution du film; lui qui jouait le héros du film original (celui des années 60, le premier de la série). Il est donc normal de le retrouver dans la version de Burton. Sauf que derrière ce clin d’oeil – qui fait plaisir aux fans de l’acteur – se cache naturellement l’ironie de Burton qui transforme l’acteur, avec beaucoup de soin et de plaisir, en vieux singe haineux. Il ne le transforme pas tant que ça quand on sait à quel point Heston a la mentalité d’un primate dont l’extrémisme politique cherche toujours à remettre au goût du jour les armes à feu dans les foyers américains. Tim Burton fait tenir à Heston dans le film les mêmes propos que dans la vie: il y parle de sa haine des intrus, il y parle de guerre, d’élimination. Heston parle à son fils, général des singes (joué ici par le diabolique Tim Roth). Il lui demande de briser l’icône religieux près de son lit. Celui-ci s’exécute et découvre que l’icône renfermait en fait… un revolver! Une relique laissée par les hommes. Ce revolver inattendu fait l’effet d’une bombe à qui connaît ce cher Heston, mais aussi à qui connaît les États-Unis. Les derniers mots de Heston avant de mourir sont assez explicites: «Que les hommes soient maudits!». On ne peut pas être plus clair. Scène inoubliable qui passe comme une lettre à la poste, parfaitement ancrée dans la dramaturgie du film. Pourtant, Burton dit beaucoup dans cette scène. La fausseté de toute religion dissimule le revolver primitif, cette arme originelle. La guerre et la haine au coeur de l’icône. En parfait iconoclaste, Tim Burton brise l’icône de manière littérale et transcende sa propre nature de cinéaste “divertissant”.
Abraham Lincoln…
La dernière scène du film est encore plus parlante de subversion politique. Impossible de l’oublier! Le héros insipide du film (en soi une description «burtonienne» de l’américain moyen: musclé, froid et patriotique) monte les marches du Lincoln Memorial pour se sentir chez lui, dans son pays, avec son Père protecteur comme icône religieux. Mais il découvre, avec horreur, à la place de la tête de Lincoln, une tête de singe (celle du fils de Heston). Image inédite de toute l’histoire du cinéma. Image incroyablement osée dans un pays si patriotique. Une image qui vaut tous les discours du monde. Le héros se retourne, pétrifié, et derrière lui une population le menace. Les flics ont tous des têtes de singes. La nation des États-Unis comme Tim Burton avait toujours rêvé de la montrer: des primates au sens cru et littéral du terme. Tout cela passe encore une fois dans la dramaturgie du film, avec une simplicité déconcertante, et c’est ainsi diablement incisif et subversif. Lincoln, héros patriotique absolu aux États-Unis, dont la statue a inspiré bon nombre de films, dont le célèbre Mr Smith Goes To Washington de Capra ou, plus récemment, le Nixon d’Oliver Stone. Personne, au cinéma, n’avait osé jusqu’à ce jour se moquer à ce point de l’image la plus respectée des États-Unis: ce héros toutes catégories de la nation la plus puissante du monde. Burton l’a fait, car Planet of the Apes, c’est sa planète et la nôtre, ni plus ni moins…
Noirs et blancs…
Ce lieu mythique des États-Unis a aussi, bien sûr, été le théâtre d’autres événements majeurs: Martin Luther King prononçant son fameux discours «I had a dream», celui de l’intégration raciale. Abraham Lincoln, un siècle auparavant abolit l’esclavage. Et c’est aussi le sous-texte du film de Burton (Est-il nécessaire de rappeler une telle évidence?). Les blancs et les noirs sont esclaves des singes dans le film. Détail assez important: Martin Luther King et Abraham Lincoln ont été assassinés par une arme à feu. Le film de Burton se termine en ce lieu et cela est plus qu’essentiel par rapport à sa thématique. Se rappeler que Charlton Heston est président du NRA (National Rifle Association) et défend la liberté d’achat des armes à feu, et naturellement le lien est évident ici avec Luther King et Lincoln.
Tim Burton…
Dans un entretien récent, Burton explique sa Planète des singes: «Il faut voir ce film comme appartenant à un ensemble, en essayant de le placer dans un contexte plus vaste». Pas étonnant donc de voir son film démarrer avec la disparition du logo de la 20th Century Fox dans le ciel étoilé. Des étoiles qui rappellent les étoiles du drapeau américain, mais qui placent surtout le film dans une sphère universelle, plus globale. La société décrite dans le film est la Société – peu importe après tout le nom du pays. Des étoiles, on se rend compte peu à peu qu’il s’agissait de l’armure du méchant singe qui finit en statue à la place de Lincoln à la fin. Le logo devient étoiles et devient la guerre. Le logo, une fois encore détournée par Tim Burton, est une comparaison masquée. Burton montre que derrière le logo, l’icône, le primate règne. Il en est même ses particules fondamentales. Pourtant, en voyant le film, il est très difficile de voir «ça», car il y a la musique, il y a le style, la vitesse des plans et les informations qui font passer l’insulte subversive de Burton pour un simple générique divertissant. Là est le style même de Burton, une esthétique de l’éthique poétique. Car, à n’en pas douter, sa patte est de bout en bout dans Planet of the Apes. Pourquoi a-t-il voulu tourner ce film? C’est évident! Burton aime «tous les films qui comportent un monstre. De King Kong à La Belle et le Bête, pour moi c’est toujours la même histoire qui me fascine et m’envoûte à chaque fois».
La belle et la bête…
La belle et la bête devient, dans ce film, la bête et le «beau bête». La bête est cette «singe» subtile et amoureuse (jouée par Helena Carter), elle aime le héros (joué par Mark Whalberg). Zoophilie affichée entre les deux héros du film qui vont de caresses en caresses et finissent par se donner un baiser mémorable sur la bouche. Alors que, dans film, la blonde sexy de type californien sera obligée d’embrasser de force le héros, car lui ne semble pas beaucoup attiré par sa blondeur nazie, préférant nettement les traits de la singe. Qui dira qu’il ne s’agit pas là d’un film estampillé Tim Burton?
La “touch”…
Les images signées du chef opérateur français Philippe Rousselot (Trop Belle Pour Toi, L’Ours, Interview With The Vampire, La Reine Margot, etc.) sont remarquables de noirceur bleutée et il a su mettre en évidence le style Burton en éclairant de manière somptueuse les spirales du décor qui sont présentes partout: dans le cosmos, dans les écorchures béantes du vaisseau en ruine et dans les flammes nocturnes de l’armée de singes serpentant vers la guerre. Une milice dans la nuit, rappelant presque tous les autres films de Tim Burton. On retrouve aussi dans ces plans l’imagerie américaine qu’affectionne Burton: il attaque ici le coucher de soleil dans le canyon, avec le héros en contre-jour sur son cheval et la traversée du campement filmée à la John Ford. Burton laisse son empreinte partout: dans une forêt brumeuse et hostile, rappelant son SLEEPY HOLLOW, dans les costumes en latex, dans la souplesse des corps rigides, dans les réunions poétiques des contraires, dans la peur des monstres, dans les frontières découvertes et repoussées, dans l’amour des marginaux, dans le conflit des lumières très ensoleillées puis, d’un coup, crépusculaires. Bref, un film à la Tim Burton, qui ne singe aucun autre film ou artiste sans y mettre de l’ironie. Un film qui ne traite plus de la nullité d’Edward Wood Jr, mais clairement celle de George Bush Jr.