Elfman, elfe de la B.O.


Danny Elfman, compositeur de musiques de films, retrouve les “singes” et Tim Burton.


Le Texan Danny Elfman, complice musical du réalisateur Tim Burton, a signé deux chefs-d’œuvre pour les bandes originales (B.O.) des films “Edward aux mains d’argent” et “L’étrange Noël de M. Jack”. Il retrouve l’actualité avec ses compositions pour le remake de “La planète des singes”, de Burton, qu’on découvrira, très bientôt, sur nos écrans.
La musique est une abstraction visant à donner des émotions concrètes aux spectateurs du film. Il y a un mystère pour le profane dans la manière dont un artiste sort cette “abstraction” de son imagination pour la mettre au service d’un metteur en scène. Tim Burton (“Batman”, “Sleepy Hollow”, etc.), par exemple, dans le cas de Elfman. Mais aussi Brian DePalma (“Mission impossible”), Gus Van Sant (“Good Will Hunting”) ou Sam Raimi (“A simple plan”).
Soit le compositeur a de longues conversations avec le réalisateur pour savoir quels sons ou mélodies celui-ci veut. Soit, on lui donne un produit fini qu’il accepte ou pas.
Moi, je me situe au milieu de ces deux attitudes. J’ai des conversations avec le directeur. Mais pas trop! J’aime bien libérer mon inspiration personnelle à partir d’un scénario… J’essaye d’entrer dans l’histoire avec mes notes. Que celles-ci ouvrent des serrures du script et libèrent des fantômes de sentiments que le metteur en scène n’avait peut-être pas prévus. Je compose. Seul!
Cela donne des mélodies faites de plusieurs couches de tonalités, celle du scénario, celle du réalisateur, la mienne et l’alchimie du tout! Ce processus ne se déroule pas toujours sur un tapis de roses. Parfois, il y a des oppositions avec le metteur en scène ou avec les producteurs. Car j’aime donner, à chaque fois, ma touche personnelle qui est assez macabre, étrange ou folle. Pas question que ma marque ne se trouve pas dans mes musiques de films.
En résumé: c’est un sacré boulot! Je ne compose pas tellement sous le coup d’émotions personnelles (un amour, une rupture, un chagrin, etc.). La musique m’envahit par elle-même, pour elle-même: l’émotion que je reçois vient d’elle.
Ma musique ne doit pas bégayer l’image à l’écran. Mais devenir une bulle de sons, d’harmonies et d’atmosphères qui enferme le public devenu prisonnier de l’histoire. Un confortable prisonnier!

“Je suis prêt à me battre pour mes notes!”

La vocation musicale d’Elfman n’est pas née, comme souvent, dans son enfance: Je ne rêvais pas du tout de devenir musicien, se souvient Elfman dont la tête ressemble à celle de Jack, le gentil squelette de “L’étrange Noël de M. Jack”… D’ailleurs, je n’ai aucun background musical derrière moi. J’ai appris sur le tas. Et notamment, à mes débuts, avec mon groupe de rock macabre, le Oingo Bongo, sur des scènes de Los Angeles.
Gosse, j’adorais les films. Et désirais, un jour, travailler dans cet univers-là. Mais je m’imaginais plutôt comme monteur ou metteur en scène – d’ailleurs, un jour, je dirigerai mon propre film!

Elfman, qui a une forte personnalité, aurait pu devenir un chanteur, ce qui est une voie royale pour devenir une star: Non, chanter ne me disait rien. Composer une musique permet de créer un univers bien plus complet que si on se produit sur une scène en poussant des ritournelles.
Je ne crois pas au mythe du compositeur génial qui travaille, seul, dans sa chambre devenue une tour d’ivoire. Pendant dix ans, avec le groupe rock Oingo Bongo, j’ai été sur scène face au public. Je ne détestais pas. Je faisais ça pendant six mois et les six autres je composais pour le cinéma. Foule, puis solitude: voilà un bon mélange.

Elfman a de l’ego et c’est tant mieux! Comment son ego accepte-t-il de se mettre au service d’un film tout en continuant à exister en affrontant des egos aussi développés que ceux de Tim Burton, DePalma, Sam Raimi ou Barry Levinson (“Men in Black”)?
Oui, je suis prêt à me battre pour mes notes! Cela dit, je me domine. Le film doit être “servi” d’abord, la musique doit l’aider comme Sancho Pança aide Don Quichotte ou Sganarelle Don Juan!
On ne peut devenir un compositeur de musiques de films à succès sans respecter en priorité le… film. Mais la part difficile de mon métier n’est pas dans cette notion de “service” ou de discussions entre mon ego et celui du metteur en scène. Faire sortir la musique, honnêtement, sans tricher, hors de mon coeur ou de mon âme tout en aidant le réalisateur à créer: ça, c’est une autre paire de manches! Si on ne me permet pas de créer une bonne musique, des partitions dont je suis fier, je me retire du projet. Je refuse aussi les films qui puent le “bébête”.
On peut imaginer un film sans musique. Et se demander quel est le sens et la mission d’une musique dans une oeuvre en images: Un film sans musique? Personnellement, je ne supporterai pas d’être le spectateur d’un truc comme ça. La musique donne de l’émotion, de l’énergie surtout. Ou encore d’autres choses. Tout dépend du film. le travail varie d’une réalisation à l’autre. Dans “Midnight Run”, un de mes premiers succès, ma musique servait à donner de l’humour et un ton de comédie aventurière à l’acteur Robert DeNiro qui n’avait pas encore souvent abordé ces genres.
D’autres fois, la musique est le conducteur de la voiture “action” ou de l’autobus “atmosphère”. Je ne déteste pas composer des romances pour un film. Illustrer un baiser à l’écran est chaque fois différent: les héros s’embrassent parfois en songeant à une traîtrise, non? C’est la musique qui souligne cette ambiguïté.

“J’ai deux maîtres: l’obsessionnel Bernard Herrmann et Nino Rota”

La musique d’Elfman est un large fleuve lent dont l’eau est transparente à la surface et pleine de débris mystérieux en ses profondeurs. Et sur ce fleuve, dont l’apparence tranquille cache des bizarreries, un enfant fait de la barquette… Bonne définition, oui. J’ai deux maîtres: l’obsessionnel Bernard Herrmann qui créa des chefs-d’oeuvre musicaux pour “Vertigo”, “La mort aux trousses” et “Psycho” de – Hitchcock… Et Nino Rota. Ah, ses mélodies de cirque pour Fellini. Ces deux compositeurs sont toujours dans ma mémoire et donnent cette impression de “fleuve” bienveillant et dangereux, qui attirent les jeux enfantins, truffant mes compositions et, particulièrement, celle de “Edward aux mains d’argent”, de Tim Burton. Herrmann est mon Dieu! J’adore les atonalités de ses compositions, les chocs de sons qui sont stridents parce qu’on n’est pas habitué à les entendre ensemble.
Mes hommages à Nino Rota ne viennent pas d’une nostalgie de mon enfance. Je n’ai pas cette nostalgie! Je suis resté assez fou et bizarre pour encore mériter le beau nom d’”enfant”.

L’obsessionnel Herrmann, influencé par Ravel, laissait tourbillonner ses thèmes autour de très peu de notes. C’est la marque du génie, souligne Elfman. Ah, si je savais épurer autant que Herrmann! J’ai tendance à compliquer mes compositions. Je lutte pour trouver le centre émotionnel et essentiel d’un thème musical donc j’utilise toutes les armes du musicien, trop d’armes sans doute… Et ça me frustre. Même si j’aime ce voyage dans le combat musical. Combat que j’ai réglé à coups de percussions et de marches guerrières dans la musique du remake De “La planète des singes” de Tim Burton. Mais je surcharge encore trop, oui!
Tim Burton et Danny Elfman: deux noms merveilleusement associés dans l’univers cinématographique. Pourtant, ces deux-là ont eu des mots, se sont séparés (Howard Shore signe la bande originale de “Ed Wood”), pour se retrouver sur “Sleepy Hollow” et “La planète des singes”: Quel chagrin ce fut! Deux frères qui s’engueulent pour des queues de cerises. Crevés, sans doute, par un boulot créatif trop intense et portés à fleur de nerfs. On était deux moutards en bagarre. J’ai vraiment été malheureux de notre séparation. Heureusement, on s’est retrouvés… Ce n’est pas comme Hitchcock et Bernard Herrman qui, déjà vieux, se sont querellés et ne se sont plus jamais parlé. Quelle tristesse!
Pour “L’étrange Noël de Mister Jack”, de Burton, Elfman composa une véritable comédie musicale. Est-il tenté par ce genre qui, hormis dans les dessins animés, a disparu de l’écran? Et comment! A tel point qu’enthousiasmé par le travail sur “Mister Jack”, j’ai écrit une comédie musicale qui dort dans mes tiroirs et qui en sortira un jour. J’ai aussi composé une musique pour un ballet qui sera créé bientôt.
Elfman est passionné par les compositeurs de films du passé. Herrmann en tête. Suivis par M.R., Max Steiner (“Autant en emporte le vent”), Franz Waxman (“Boulevard du crépuscule”, “Les gladiateurs”) et Jerry Goldsmith (le premier “Planète des singes”, “La malédiction”). Trois musiciens classiques l’attirent: Tchaïkovski, Stravinski et Prokofiev. Avec un tel bagage, on s’étonne qu’on l’ait catalogué “compositeur pour films tirés de BD”: Fausse réputation! Je n’ai composé des airs que pour quatre films venus de la BD: les deux premiers “Batman”, “Dick Tracy”, “Men in Black”… Ajoutez-y la musique pour le “Spiderman“, de Sam Raimi, qui sortira la saison prochaine.