Le singe de la statue


C’est pas un travail de singe, c’est un travail d’homme” “Le songe de la statue” est une prophétie de la Bible, dans le livre de Daniel (il y a 2600 ans environ), qui a prédit la succession de plusieurs empires après celui de Babylone.

Tim Burton est un des rares grands auteurs et cinéastes à savoir insuffler ses obsessions, ses angoisses, sa vision du monde dans un film de commande, aussi stéréotypé soit-il. A priori il paraissait étonnant qu’il adapte ou refasse cette histoire de Planète des Singes. Pourtant, en sortant de la projection, on s’aperçoit que c’est totalement cohérent avec son univers. Le film ne manque pas de failles. Le scénario est conventionnel, parfois catastrophique, et si classique que seul la fin pourra surprendre – on va y revenir. Les seconds-rôles simiesques sont au bord du clichés, même si ils apparaissent autrement plus intéressants que les rôles humains. Là est le véritable talon d’Achille du Burton. On s’interroge sur la présence de l’excellent Kristofferson durant ses 5 minutes d’apparition. Estella Warren illustre plastiquement le rôle de la blonde, belle et muette, où le seul intérêt s’arrête à son golfe (du grec kolpos, la zone entre les seins). Sa platitude et son inexistence gâchent notamment la fin du film – on y revendra. A cela s’ajoute le rôle principal, Mark Wahlberg. Pour un Elu, il ne fait passer aucune émotion. Il a la carrure qu’il faut pour se battre, mais pas le tempérament d’un messie. Il représente un Lieutenant de l’Armée américaine. Ce côté basique le rend adéquat. On regrettera quand même l’impression laissée : celle qu’il aurait pu être remplacé par n’importe qui. Le film aurait sans doute gagné en épaisseur avec un acteur plus charismatique.

A part tout cela – et la fin, mais je vais y revenir – le film est à la hauteur des espérances. La photo de Rousselot, les maquillages de Baker, la musique (impressionnante) d’Elfman, l’ensemble de la direction artistique (qui a puisé ses influences entre le Moyen Age chinois et la science fiction des années 60) font de cette production un film ambitieux, fascinant, jamais décevant. Ici Burton ne nous livre aucune prouesse visuelle ou de bluff cinématographique. Il reste dans son sujet (ses thèmes) et dans les rapports homme/singe. Il ne s’agit d’ailleurs vraiment pas d’un remake. La première version de l’histoire est vite oubliée. On assiste à une “fable” rythmée, aventureuse, noire et emblématique. Un divertissement haut de gamme.

Justement, Burton applique bien les gammes hollywoodiennes : une scène d’action, une scène de dialogues. Parfois, ces derniers frôlent le néant intellectuel et l’inutilité scénaristique. Voire le grotesque. Heureusement, tout le reste permet d’aborder des sujets aussi sensibles que l’environnement, la protection de l’éco-système, la religion, les croyances, l’impact des technologies sur son utilisateur, la solitude, et bien sûr la cruauté de l’Homme. Autant de thèmes qu’on retrouve dans les différents films de Burton. La technologie est là encore un objet (une arme même) de perversion pour celui qui s’en sert, de Batman à Sleepy Hollow. Il y a aussi une intéressante vision du pouvoir, et une analyse de la hiérarchie assez pertinente : aux débats en coulisses succèdent les manipulations et les rétentions d’information.
Le cinéaste a su intégrer son point de vue sur les êtres humains. Il est ainsi parvenu à rendre les Hommes pitoyables malgré leur statut de victimes. Et à nous rendre compréhensifs vis-à-vis de singes tyranniques et violents. Il nous renvoie le reflet exact de notre société, et de notre animalité.

Cette symbiose atteint son apogée avec la relation Wahlberg / Bonham Carter. Le lien est attachant, spirituel, par delà les différences. Ils sont tous les deux marginalisés, loin de leur monde, aspirant à un idéal qui semble impossible à atteindre, incrédule face à tout ce qui n’est pas rationnel. Le “scientifique” et l’utopiste forme un couple extraordinaire. Evidemment, on le doit essentiellement à l’incroyable travail d’actrice d’Helena Bonham Carter dans son personnage d’Ari, une amie qui vous veut du bien. Dans ses yeux, sa gestuelle de singe évolué, ses effets de “bouche”, la guenon pleine de grâce illumine le film et devient le vrai fil conducteur. Elle incarne l’espoir et l’intelligence. Face à elle, le déjanté et diabolique Tim Roth excelle en dictateur hystérique et hurlant. Tim Burton a clairement privilégié le monde des singes : les acteurs sont parfaits, et leurs personnages bien mieux écrits. On s’en rend compte notamment avec le Chimpanzé éduqué par Wahlberg. Ce bébé singe qui apprend à voler sur des simulateurs nous est plus attendrissant que les masses d’humains réduites à porter des peaux et se battre avec des lances. 2001, l’odyssée de l’espèce?

On se laisse donc prendre par cette aventure hors du commun. Le suspens est maintenu. Et cette découverte d’un monde inconnu noue le ventre. On s’identifie à ce lieutenant piégé dans ce cauchemar cinglant. Mais voilà. Sans dévoiler la fin, on peut d’ores et déjà vous conseiller de quitter la salle au moins 5 minutes avant le générique. Burton avait la possibilité d’une fin mystique (avec le chimpanzé), romantique mais ambigüe (avec la guenon), ou encore ouverte sur une suite, un retour (avec l’homme).

A chaque scène géniale, il enchaîne avec une action ridicule. A chaque fois, il contredit son propos. Le pire est obtenu lors des dernières images. Il conclut de manière anachronique, rendant tout son film invraisemblable (alors qu’il était crédible), avec une perspective pessimiste.
Bizarrement, il aurait pu simplement garder le même endroit, ne pas le transformer, et juste filmer ce symbole qui parlait de lui même, véhiculant un message politique de tolérance et d’affranchissement autrement plus essentiel que cette ironie sans intérêt. Ce jour là il a voulu essayer de monter son film avec ses pieds, sans doute sous les ordres colériques du Général Murdoch.