L’étrange bouquin de Mister Tim


Rencontre avec un cinéaste d’exception, en marge d’Hollywood et à l’univers ultra-codifié : Tim Burton. Sa vie, son ouvre, ses croquis…


“En face de moi, j’avais un homme pâlot, apparemment fragile, l’oil triste et les cheveux encore plus hirsutes que si on les avait filmés au réveil. Au vu de la tignasse de ce type – une touffe à l’est, quatre brins d’herbe à l’ouest, une minivague, et le reste éparpillé du nord au sud -, même Jesse Owens n’aurait pas pu battre un peigne avec des jambes. Je me rappelle avoir pensé instantanément : “T’as besoin de sommeil, mec !” ” : telles furent les premières réflexions de Johnny Depp, acteur agaçant (non seulement il est beau gosse, mais en plus il a autre chose que du mou de veau à la place du cerveau), lors de sa rencontre avec Tim Burton, cinéaste ébouriffant et ébouriffé, décoiffé et décoiffant, traînant son spleen et ses visions torturées à longueur de pellicule en faisant la nique à Hollywood.

À l’occasion du superbe Sleepy Hollow, sort la première biographie d’un cinéaste déjà culte, qui a su imposer ses vues et ses névroses, ses goûts et son esthétique avec l’aval du public, la reconnaissance des acteurs et l’interrogation des majors.

Fruit d’entretiens entre Burton et le journaliste Mark Salisbury, Tim Burton par Tim Burton passe en revue une ouvre protéiforme et intelligente. Mais l’on ne saurait comprendre le cinéma burtonien sans prêter attention à son enfance à Burbank, antichambre d’Hollywood et surtout banlieue aseptisée où le petit Tim, toujours en marge, trompe son ennui en se gavant de films d’épouvante où apparaît son idole Vincent Price, ayant cette superbe phrase : ” J’avais peu d’amis, mais il y avait suffisamment de films étranges pour que tu puisses t’en passer. ” Dessinateur, rêveur, innovateur, il cultive son goût pour le cinéma décalé, les personnages en marge, l’imagerie gothique, l’animation image par image et un dessin en coup de serpe, sombre et torturé.

Il parachève sa formation chez Disney, prison aux barreaux dorés. Imaginez le supplice : vous avez l’Étrange Noël de M. Jack en tête et vous devez peindre les renards tout mignons de Rox et Rouky ! Ses productions sont jugées intéressantes mais ne connaîtront pas d’exploitation commerciale, comme Vincent, hommage à son idole Vincent Price, une version japonaise de Hansel et Gretel, le conte des frères Grimm, ou encore Frankenweenie, variation canine de Frankenstein.

Ce n’est qu’avec Pee-Wee Big Adventure qu’il est révélé au public. Il s’attaquera ensuite à Beetlejuice, délire baroque où se mêlent rythme calypso et mélopées d’outre-tombe. L’apogée sera atteint avec un Batman torturé et sombre qui engrangera les dollars et entérinera sa notoriété. Mais c’est réellement Edward aux mains d’argent qui constitue l’ouvre burtonienne par excellence : un personnage marginal ” beau et dangereux à la fois “, un hymne à la tolérance dans un univers social aseptisé. Burton aime les parias et explore toujours plus profondément les névroses d’une Amérique qui n’ose se regarder en face. Avec l’aide de personnages schizophréniques, en témoigne son Batman, le défi.

Volant de ses propres ailes, il peut enfin mettre en ouvre un projet qui date de ses années Disney : l’Étrange Noël de M. Jack, preuve s’il en était besoin que les contes pour enfants ne sont pas que guimauve et mièvrerie. Ed Wood est une parabole sur la frontière ténue entre génie et folie, tandis que Mars Attack! est un pamphlet virulent et un hommage aux séries Z de science-fiction. Et avant de nous livrer le ténébreux Sleepy Hollow, on apprendra que Burton se heurtera encore aux exécutifs timorés de l’industrie du rêve avec le projet avorté de Superman.

La meilleure définition de Burton revient à son alter ego à l’écran, Johnny Depp, auteur de la préface de l’ouvrage : ” Tim est un génie, un excentrique, un fou et un ami brillant, courageux, drôle jusqu’à l’hystérie, loyal, non-conformiste et franc du collier. ” Quand on vous disait que ce Johnny Depp était agaçant…