Grand connaisseur du système hollywoodien, Tim Burton n’en est pas moins un artiste à part. Il le prouve une fois de plus avec son déroutant Sleepy Hollow.
Tim Burton semble sorti tout droit d’un dessin animé. Il s’est peigné avec un crayon noir, s’est rasé avec une gomme à papier – quelques traces sur le menton en témoignent – et s’est découpé aux ciseaux un large sourire rempli de dents. Il boit aussi du thé. Dans le cinéma américain, le réalisateur de Sleepy Hollow est un cas à part. Et pas seulement à cause de son physique de cartoon. «Les personnages de ses films lui ressemblent, déclarait en 1993 David Hoberman, alors président des films Disney. Batman, Beetlejuice, Pee-Wee, Edward aux mains d’argent, ils essaient tous de faire accepter aux autres leur étrangeté. Comme Tim.» Rien n’a changé depuis. Burton est le cinéaste à succès le plus décalé de Hollywood. Un hors-la-loi en liberté surveillée.
Son palmarès parle tout seul : 41 ans, 8 longs-métrages dont un, Batman, classé parmi les 15 plus grosses recettes du box-office américain, reconnu chez lui, attendu en Europe, adoré en France. Un univers nourri de comics et de séries B, peuplé de créatures étranges, d’humour poétique et de tragiques histoires d’amour.
«La vie est beaucoup plus étrange que mes films, rectifie-t-il. Moi, je suis un grand romantique qui aime mélanger la tristesse, la beauté, l’horreur, l’amour, l’humour, toutes ces choses dont la vie est faite.» Sleepy Hollow répond effectivement à tous ces ingrédients. Et le cocktail a plu aux spectateurs américains, qui lui ont réservé un excellent accueil. Avec 95 millions de dollars de recettes, Burton renoue avec le succès, perdu depuis deux films, Ed Wood et Mars Attacks ! Des échecs d’autant plus dommageables pour lui qu’il en était le producteur. «Burton fait partie de ces artistes qui savent parfaitement comment fonctionne l’industrie, analyse l’écrivain et journaliste américain Bill Krohn. Il y en a peu qui allient cette connaissance commerciale à une si grande sensibilité artistique. Hitchcock était de ceux-là qui travailla avec les studios pour Fenêtre sur cour ou La Main au collet pour mieux faire accepter un projet plus personnel, Mais qui a tué Harry ?, ou qui réalisa La Mort aux trousses après l’échec de Sueurs froides. Plus tard, la parenté se fait avec De Palma, Scorsese, Lucas ou Coppola (producteur exécutif de Sleepy Hollow). Ils ont commencé indépendants, ont tous réalisé des commandes pour les studios dans les années 80, mais ont toujours réussi à se libérer de la trop grosse emprise des majors. Hitchcock est devenu producteur, Lucas, Coppola aussi, Tim Burton également. Ils sont dans la même logique artistique vis-à-vis de l’industrie.»
Avec parfois un projet qui coince. Comme ce Superman prévu depuis longtemps par Burton, avec Nicolas Cage en homme fort et volant, film que le studio Warner a fait capoter parce qu’il ne voulait pas signer un chèque de 100 millions de dollars à un réalisateur en qui il n’avait pas totalement confiance. «Tous mes films ont été produits ou coproduits par un studio, précise le réalisateur. J’essaie de faire en sorte qu’ils ne perdent pas d’argent et même qu’ils en gagnent un peu. Mais à chaque fois les pendules sont remises à l’heure. Après les échecs de mes deux films précédents, je n’ai pas pu mettre mes projets sur pied. Ce qui est classique ici. Mais, après l’énorme succès de Batman, ça n’a pas été plus facile de monter Ed Wood.»
L’adaptation à l’écran du personnage de Bob Kane est un cas d’école du système des studios américains. «Il y a eu quatre films avec Batman, explique Bill Krohn. Le premier est une production de studio confiée à un réalisateur, Tim Burton, dont les deux films précédents, Pee-Wee et Beetlejuice, avaient été des succès. Procédé classique à Hollywood. Le second, Batman 2, le défi, est véritablement un film de Tim Burton, étrange, inquiétant et noir. Les troisième et quatrième épisodes ont alors été confiés à un tâcheron, Joel Schumacher, parce que le studio Warner ne savait comment appréhender le travail de Burton.» Entre deux gorgées de thé et un sourire de cartoon, Tim Burton minimise l’affaire : «Après ma version très sombre de Batman, les producteurs en voulaient une beaucoup plus gay.» Les costumes moulés de tous les côtés de Batman et de Robin, devant comme derrière et de haut en bas, confirment le jugement de Burton. «Globalement, j’ai quand même réussi à faire ce que je voulais et les gens des studios ont toujours trouvé ça étrange, précise-t-il plus sérieusement. Mais j’ai toujours l’impression que lorsqu’un de mes films ne marche pas ils ne se gênent pas pour marquer le coup, du style: “Voyez, j’ai toujours dit qu’il y avait quelque chose de bizarre chez ce type.”»
Il est vrai qu’un réalisateur qui aime Fellini et les films de la Hammer (une maison de production anglaise des années 50 spécialisée dans le fantastique), qui préfère tourner avec Christopher Lee et Peter Cushing (Dracula et Frankenstein en chair et en os) plutôt qu’avec Marlon Brando ou Paul Newman, qui dit avoir été influencé par L’Homme invisible, de James Whale, Le Masque du démon, de Mario Bava, ou par les poèmes d’Edgar Poe, ce type-là, forcément, il est étrange. Tout comme le titre de son projet d’animation, The Corpse Bride (Le Cadavre de la mariée), film dans la lignée de L’Etrange Noël de M. Jack, de Henry Selick, dont il était scénariste et producteur. Pour y travailler tranquillement, Tim Burton a monté une maison de production de dessins animés. Elle est située à San Francisco. Pas très loin de Hollywood. Mais pas tout près non plus.