Tim Burton, roi de la culture populaire
Il y a le tendre Tim Burton qui défend les gentils. Il y a, tout aussi génial, le Burton qui casse tout ce qui ne sent pas bon avec “Mars Attacks!”.Tim Burton est un des génies du cinéma américain… Il possède une vision du monde qu’il réussit à traduire en des images, des rythmes narratifs et des personnages toujours surprenants, toujours emplis de “sens” même s’ils sont aussi amusants ou effrayants que des créatures de dessins animés.
Ce mec, on l’aime. Parce qu’il prend le parti des marginaux, de ceux que personne ne supporte – quand tout le monde dit du mal de quelqu’un, voyez-y le signe d’une grandiose qualité de cet être (gentillesse, talent original) que les autres, les bêlants du troupeau, n’acceptent pas parce que cela pourrait faire de l’ombre à leurs pantoufles de nains de courants d’air conformistes et confortables…
Et des “pas comme les autres”, il nous en a fait adorer, le Tim: Pee Wee qui s’accroche à son enfance; le cinéaste Ed Wood qui se déguisait en femme pour diriger des séries X et qui avait un coeur grand comme ça; Jack le Squelette, prince du Royaume des Morts, qui, par bonté essaye de devenir le Père Noël; et, surtout, Edward aux mains d’argent, d’abord chouchoutés lorsque les ciseaux au bout de ses bras servent à tailler les haies et les cheveux d’immondes petits-bourgeois, puis jeté aux orties lorsqu’il fait un pas de travers. Edward est une des plus belles figures emblématiques du cinéma de notre siècle: isolé volontairement dans son château sinistre, il sculpte de magnifiques statues de glaces et emplit ainsi le quotidien des villageois, qui l’ont banni, de merveilleux flocons de neige faisant que c’est “Christ- mas” tous les jours. A un crachat, Edward répond par une merveille éphémère. C’est beau. Ça nous tire des larmes.
Il y a l’autre Tim Burton. Tout aussi formidable que le premier. Le sale gamin qui casse tout ce qui l’enquiquine, l’anar de la société de consommation – mais toujours artiste jusqu’au bout des ongles -, le lanceur d’explosifs sur une société occidentale où le paraître compte plus que les actes, où la prise de pouvoir est une fin en soi, où les imbéciles ont le temps d’emmerder ceux qui le perdent en travaillant – et ces doux coeurs essayent même de bien faire leur travail!
C’est flagrant dans le délirant, hallucinant, macabre et rigolo “Mars Attacks!” qui est à Tim ce que la vision baroque qu’avait Fellini de l’univers était à “Amarcord”. Les Martiens arrivent… Et ils ne sont pas braves, ils ont l’air d’enzymes gloutons. D’ailleurs pourquoi serait-il bravinous sur une planète menée par des beaufs, des militaires bornés, des savants qui trouvent toujours une bonne explication aux pires crasses et des chefs qui croient que la “com’” supplée largement à l’action positive… Les Martiens cassent tout. Bien fait!
Tim Burton se sert des BD de son enfance comme un revolver d’une balle pour fracasser le vernis de crapulerie qui enduit la panse de la fin du XXe siècle.
“Mars Attacks!”, sous son allure potacheuse d’oeuvre à effets spéciaux, démontre qu’une société dominée par le fric, les psycho-rigides, les “Tout pour moi, rien pour les autres”, les vaniteux graves, les chanteurs ou les mannequins stupides, qu’une société bâtie sur ces “exemples” ne peut que s’écrouler parce que les cerveaux ne communiquent plus (“Parle à mon Web, ma tête est malade”) et que la voix des arts, dont la parole est une géométrique du désordre guérisseur, est marginalisée.
Jack Nicholson fait un grand numéro de pleutre avide de pub en président des Etats-Unis, Pierce Brosnan (oh, miracle!) réussit à nous faire rire en savant dont il ne reste que la tête et la pipe courtisant une pin-up dont le corps est celui d’un caniche. Tim Burton ouvre son coffre à jouets et c’est une âme qui en sort. Une belle âme mais qui fout des coups de poings. Ce soir, boudez le travail et le devoir conjugal, enfermez vos gniards hurleurs qui répètent “Saint Nicolas, saint Nicolas” et offrez-vous, tranquilles comme Baptiste, ce formidable film. Qui ne verra “Mars Attacks!” n’est qu’un pauvre oeuf vide, na! Pourquoi tant de pétulance?, me demandez-vous. Qui vous a permis de me tutoyer!