A son tour, Tim Burton s’intéresse aux petits êtres verts venus de la Planète rouge
Mars est rouge. D’où une détestable réputation pendant et après un demi-siècle de guerre froide. Qui plus est, Mars montre un goût sourcilleux du secret – mystère de ses canaux, de ses vallées trop ombreuses, de ses cratères géants – et démolit régulièrement nos sondes. Elle baisse un rideau de fer stellaire devant notre curiosité. Alors, l’imaginaire s’envole, littérature et cinéma courent au pire. Mars, au nom guerrier, devient un énorme «Chéri, fais-moi peur» lancé en boulet de canon dans le système solaire. Sur le mode désopilant, Tim Burton reprend cette mythologie dans Mars Attacks !. A grands coups de super-lasers et d’humour vache atomisant.
L’affaire ne date pas d’hier. 1898 : H. G. Wells publie La Guerre des mondes. Invasion martienne dans la lande anglaise. Le Marsien (ainsi l’écrit Wells) ne se conduit pas en gentleman : il n’enterre pas ses morts et incendie la Chambre des lords. On frémit dans la gentry. La diffusion du bolchevisme et du cinéma aidant, sa terreur franchira les mers.
Oublions une adaptation de 1925, par Cecil B. De Mille, et un projet avorté de S. M. Eisenstein (ciel, un Russe !). Passons même sur la panique générale provoquée par La Guerre des mondes radiophonique due à Orson Welles. C’est sur les écrans, en 1953, avec le film de Byron Haskin, que le martien vert aux mains de grenouille prend sa dimension géopolitique. Désormais, l’Amérique est le centre du monde. Une Amérique qui, en 1953, vit la fin de la guerre (anti-rouges) de Corée. Et connaît la peur. Depuis 1949, l’URSS possède l’arme atomique. Le nez en l’air, de craintifs habitants du Middle West guettent les bombardiers et voient des flopées d’ovnis. Des ovnis «rouges», bien sûr. Déjà, à l’ONU, en avril 1950, Gromyko avait ironisé : «Les Anglais sont responsables de l’apparition de tant de soucoupes volantes ; ils exportent trop de whisky vers l’Amérique.» Mensonge ! L’Américain moyen préfère le bourbon fait maison. Mais quand il a ajouté: «Ou bien, quelque part, un Russe s’entraîne au lancement du disque et ignore sa force», la nation – et la CIA – y décela une terrible métaphore. Le discobole surhumain, c’est l ‘Armée rouge.
La Guerre des mondes de Haskin est le pur reflet de ce fantasme marsiste-léniniste. Le réalisateur l’avoue: «Il suffirait de remplacer le nom de Martien par celui de Russe.» Et on vivrait la Troisième Guerre: Los Angeles en ruine livrée aux pillards. Le peuple réfugié en prière dans les églises (selon le credo inscrit sur les dollars, «In God We Trust»).
Burton a choisi sa vraie voie :
le marsisme tendance Groucho
La Terre est sauvée par un gag (involontaire): les Martiens meurent de la pollution industrielle (donc capitaliste). Chez Tim Burton, cette pollution miraculeuse est la musique country : elle explose le cerveau martien. C’est que, le rideau de fer ayant rouillé, le mur de Berlin s’étant écroulé, le bordel s’étant planétarisé, Burton a choisi sa vraie voie: le marsisme tendance Groucho.
Il eut un aimable prédécesseur. Fredric Brown, perturbateur d’univers, auteur de SF. Son Martiens Go home est la plus grande déconnade de la galaxie. Prenez un écrivain paisible réfugié dans son cabanon en plein désert (l’écrivain est de nature casanière). Le 26 mars 1964, en début de soirée, on frappe à sa porte. Il ouvre. «Salut Toto», lui assène un nabot goguenard et vert. Qui reluque de manière plus que lascive la femme du scribouillard (les écrivains attirent les femmes bien roulées; c’est de la science-fiction) et l’appelle Chouquette. Un gros milliard de Martiens viennent de débarquer en cette soirée de printemps. Ils possèdent, outre leur couleur, variant de l’émeraude au céladon, d’ineffables traits communs : appeler tous les hommes Toto, toutes les femmes Chouquette. Plus le pouvoir de «couimer». Le couimage est une manière de se déplacer économe en carburant. Nul besoin de fusée, de soucoupe ou de téléportation à la Star Trek. Rien qu’un peu de bonne volonté. On est en un point A, on se retrouve en un point B. Couimer nuit aux relations diplomatiques. Allez donc tenir un échange fructueux quand votre interlocuteur commence sa phrase dans le Bureau ovale et la termine au Kremlin. Le Martien brownien est agité, ludique et facétieux.
Donc dangereux. Il dispose d’une arme non répertoriée par la conférence de Genève: dire toujours la vérité. Ce qui ruine démocraties comme totalitarismes. D’où, d’Est en Ouest, une union sacrée: «Comment s’en débarrasser ?» L’envahisseur vert gazon partira de lui-même cent quarante-six jours et cinquante minutes après son apparition. Dégoûté.
La taraudante question demeure: pourquoi, sur la planète rouge, les Martiens seraient-ils verts, selon la tradition ? Seule réponse évidente : pour nous rester invisibles. Ils savent que, dans sa vision du bien et du mal, le Terrien est daltonien.