« Ed Wood »Tim Burton réunit la horde loufoque


Résister aux maux du monde, entrer dans le lard de tout ce qui les provoque : deux attitudes vitales. Qu’on peut traduire en ayant la haine et en montrant jusqu’où elle peut conduire ceux qu’on laisse mariner dedans. Ou, alors, en refondant une famille, un clan ou une tribu qui résiste dans un fort Alamo. C’est la seconde solution, celle que je préfère, que choisit le cinéaste américain hyperdoué Tim Burton et ce n’est pas une surprise : le réalisateur d’« Edward aux mains d’argent » rôde depuis toujours autour du thème de l’orphelin cherchant le réconfort des autres pour agir sur la société, revoyez « Pee Wee Big Adventures », «Batman 2 » ou « L’Etrange Noël de M. Jack ».


En racontant la vie d’Ed Wood, un cinéaste de série Z qui a réellement travaillé à Hollywood dans les années ’50 et ’60, Tim Burton réunit les siens et forme le cercle contre l’attaque des nains de jardin qui gâchent les vies. Il convoque Bela Lugosi, l’acteur qui créa le Dracula de l’écran et finit son existence fauché et drogué, un catcheur grotesque au grand coeur, Vampira, des soucoupes volantes en carton-pâte, le « noir et blanc » des films d’enfance. Et tous ces marginaux – Ed Wood en tête : il adore porter des pulls en angora et des sous-vêtements féminins – de se réconforter les uns les autres, de former une bulle d’amitiés, qui répand ses bienfaits en éclatant, et de faire semblant de se couler dans le moule social tout en le truquant et en trichant joyeusement et poétiquement.

Tim Burton ne sait pas encore s’il est Ed Wood ou Orson Welles (dans son film, il offre généreusement un magnifique cadeau à Wood : il lui fait rencontrer Welles, ce qui n’est pas arrivé dans la réalité). Ce doute habite le film et c’est ce qui en fait sa valeur même si « Ed Wood » est une oeuvre de transition pour Burton, un film de metteur en scène « habité » qui dérive, dans sa deuxième partie, après la mort de Bela Lugosi (ah, les images muettes du vieux Dracula filmé quelques jours avant son décès !), et est affaiblie par le jeu fade de Johnny Depp (Ed Wood) dont l’enthousiasme et l’aspect monotonement halluciné ne convainquent pas – Depp était formidable dans « Edward aux mains d’argent » parce qu’il avançait masqué et que le masque est l’autre thème de Tim Burton : dis-moi quel masque tu choisis et je te dirai qui tu es. Par contre, le jeu de Martin Landau en Bela Lugosi est admirable…

« Ed Wood » et « La Haine » se rencontrent sur un point : qu’on fasse exploser la colère ou le bricolage doux et créatif, si on ne fait pas partie des « nantis » du système, on est fichu, foutu, crevé, fini. Triste constation. Mais si chute il y a autant qu’elle soit rigolotte et folle à la « Ed Wood » puisqu’on finit tous par être knabbeler par les vers. Bugs Bunny, Laurel et Hardy, les 3 Stooges, Gary Cooper, Abbott et Costello, Gabin, John Wayne et Speedy Gonzales, au secours ! Venez gonfler nos imaginaires pour affronter le futur.